Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu | Page 3

Maurice Joly
au m��decin de d��crire les maladies, au chimiste de faire l'histoire des poisons, au moraliste de peindre les vices, �� l'historien d'��crire l'histoire.
MONTESQUIEU.
Oh! Machiavel, que Socrate n'est-il ici pour d��m��ler le sophisme qui se cache dans vos paroles! Si peu apte que la nature m'ait fait �� la discussion, il ne m'est gu��re difficile de vous r��pondre: vous comparez au poison et �� la maladie les maux engendr��s par l'esprit de domination, d'astuce et de violence; et ce sont ces maladies que vos ��crits enseignent le moyen de communiquer aux ��tats, ce sont ces poisons que vous apprenez �� distiller. Quand le savant, quand le m��decin, quand le moraliste, recherchent le mal, ce n'est pas pour enseigner �� le propager; c'est pour le gu��rir. Or, c'est ce que votre livre ne fait pas; mais peu m'importe, et je n'en suis pas moins d��sarm��. Du moment o�� vous n'��rigez pas le despotisme en principe, du moment o�� vous le consid��rez vous-m��me comme un mal, il me semble que par cela seul vous le condamnez, et sur ce point tout au moins nous pouvons ��tre d'accord.
MACHIAVEL.
Nous ne le sommes point, Montesquieu, car vous n'avez pas compris toute ma pens��e; je vous ai pr��t�� le flanc par une comparaison dont il ��tait trop facile de triompher. L'ironie de Socrate, elle-m��me, ne m'inqui��terait pas, car ce n'��tait qu'un sophiste qui se servait, plus habilement que les autres, d'un instrument faux, la logomachie. Ce n'est pas votre ��cole et ce n'est pas la mienne: laissons donc les mots et les comparaisons pour nous en tenir aux id��es. Voici comment je formule mon syst��me, et je doute que vous l'��branliez, car il ne se compose que de d��ductions de faits moraux et politiques d'une v��rit�� ��ternelle: L'instinct mauvais chez l'homme est plus puissant que le bon. L'homme a plus d'entra?nement vers le mal que vers le bien; la crainte et la force ont sur lui plus d'empire que la raison. Je ne m'arr��te point �� d��montrer de telles v��rit��s; il n'y a eu chez vous que la coterie ��cervel��e du baron d'Holbach, dont J.-J. Rousseau fut le grand-pr��tre et Diderot l'ap?tre, pour avoir pu les contredire. Les hommes aspirent tous �� la domination, et il n'en est point qui ne f?t oppresseur, s'il le pouvait; tous ou presque tous sont pr��ts �� sacrifier les droits d'autrui �� leurs int��r��ts.
Qui contient entre eux ces animaux d��vorants qu'on appelle les hommes? A l'origine des soci��t��s, c'est la force brutale et sans frein; plus tard, c'est la loi, c'est-��-dire encore la force, r��gl��e par des formes. Vous avez consult�� toutes les sources de l'histoire; partout la force appara?t avant le droit.
La libert�� politique n'est qu'une id��e relative; la n��cessit�� de vivre est ce qui domine les ��tats comme les individus.
Sous certaines latitudes de l'Europe, il y a des peuples incapables de mod��ration dans l'exercice de la libert��. Si la libert�� s'y prolonge, elle se transforme en licence; la guerre civile ou sociale arrive, et l'��tat est perdu, soit qu'il se fractionne et se d��membre par l'effet de ses propres convulsions, soit que ses divisions le rendent la proie de l'��tranger. Dans des conditions pareilles, les peuples pr��f��rent le despotisme �� l'anarchie; ont-ils tort?
Les ��tats une fois constitu��s ont deux sortes d'ennemis: les ennemis du dedans et les ennemis du dehors. Quelles armes emploieront-ils en guerre contre les ��trangers? Les deux g��n��raux ennemis se communiqueront-ils r��ciproquement leurs plans de campagne pour se mettre mutuellement en ��tat de se d��fendre? S'interdiront-ils les attaques nocturnes, les pi��ges, les embuscades, les batailles en nombre de troupes in��gal? Non, sans doute, n'est-ce pas? et de pareils combattants appr��teraient �� rire. Et ces pi��ges, ces artifices, toute cette strat��gie indispensable �� la guerre, vous ne voulez pas qu'on l'emploie contre les ennemis du dedans, contre les factieux? Sans doute, on y mettra moins de rigueur; mais, au fond, les r��gles seront les m��mes. Est-il possible de conduire par la raison pure des masses violentes qui ne se meuvent que par des sentiments, des passions et des pr��jug��s?
Que la direction des affaires soit confi��e �� un autocrate, �� une oligarchie ou au peuple lui-m��me, aucune guerre, aucune n��gociation, aucune r��forme int��rieure, ne pourra r��ussir, sans le secours de ces combinaisons que vous paraissez r��prouver, mais que vous auriez ��t�� oblig�� d'employer vous-m��me si le roi de France vous e?t charg�� de la moindre affaire d'��tat.
R��probation pu��rile que celle qui a frapp�� le Trait�� du Prince! Est-ce que la politique a rien �� d��m��ler avec la morale? Avez-vous jamais vu un seul ��tat se conduire d'apr��s les principes qui r��gissent la morale priv��e? Mais toute guerre serait un crime, m��me quand elle aurait une cause juste; toute conqu��te n'ayant d'autre mobile que la gloire, serait un forfait; tout trait�� dans lequel une puissance aurait fait pencher la
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