Deux et deux font cinq | Page 6

Alphonse Allais
déjà? Alors,
quoi, nous, les mômes!... Et après, le Père a contemplé le Saint-Esprit,
et ils ont engendré le Fils!... C'est dommage, dis donc, qu'on n'ait pas
organisé des trains de plaisir pour assister à ça, hein?... Ils sont trois et
ils ne sont qu'un... Ils ne sont qu'un et ils sont trois!... Arrange ça... Moi,
encore, je ne suis pas trop bête, j'en prends et j'en laisse; mais, autour
de moi, au catéchisme, il y a un tas de petites gourdes qui en
deviennent gaga. Tiens, veux-tu que je te dise?... Seulement, tu le
répéteras pas à p'tite mère, qui coupe un peu dans ces godants-là?
--Tu parles dans l'oreille d'un sépulcre.
--Eh ben! le mystère de la Sainte-Trinité...
--Dis.
--Ça manque de femmes!

LA VAPEUR
Il n'y a qu'à moi que ces veines arrivent.
J'ai rencontré, hier, Valentine, dans des conditions exceptionnellement
avantageuses qu'on va pouvoir apprécier plus bas.
Valentine est une jeune personne de Montmartre qui se destine au
théâtre.
Son physique est attrayant, ses manières sont accortes, son intelligence
pétille, mais son impudicité est notoire dans tout le neuvième
arrondissement et une partie du dix-huitième (sans préjudice, d'ailleurs,

pour quelques autres quartiers de Paris).
--Que fais-tu par là? m'informai-je après l'avoir baisée sur le front.
--Devine?
--Je ne suis pas somnambule.
--Je sors de chez l'oncle.
(C'est ainsi que la jeune Valentine désigne familièrement le vigoureux
cénobite de la rue de Douai.)
--Tu es restée longtemps chez cet esthète?
--Dans les une heure, une heure et demie.
--Mâtin!
--Ah! dame! il n'a plus vingt ans, le pauvr' bonhomme!
--Et il t'a fait répéter le Songe d'Athalie?
--Non, ça n'est plus le Songe qui marche maintenant, c'est les
Imprécations de Camille... Une idée à lui.
Et Valentine prit, en disant ces paroles, un air extraordinairement malin,
dont je ne sus point percer le sens. Je feignis de comprendre.
Et elle ajouta:
--Ce qui m'embête le plus, c'est que je lui ai dit que je rentrais chez moi,
rue Rochechouart. Alors, il m'a priée de remettre au Petit Journal sa
chronique de demain.
--Montre.
--Ah! non, par exemple! Tu lui ferais encore des blagues, et il
m'attraperait, lors de mes débuts, à la Comédie-Française.

--Poseuse, va!
Toutefois, à la suite d'habiles manoeuvres, cinq minutes après ce
dialogue, je détenais le manuscrit de M. Francisque Sarcey et j'en
copiais le passage suivant, qu'on a pu lire, le même jour, et dans mon
journal, et dans le Petit Journal.
M. Marinoni manifesta un vif mécontentement, mais j'ai autre chose à
faire dans la vie que de me préoccuper des allégresses ou des déboires
de M. Marinoni.
Et puis si M. Marinoni n'est pas content, il sait où me trouver.
LA VAPEUR
* * * * *
«Ah! c'est bien vrai, mes amis, il n'y a encore que les voyages pour
apprendre quelque chose! Si on restait chez soi, tous les jours, du matin
au soir, je vous demande un petit peu ce qu'on saurait de la vie.
»On n'en saurait rien du tout. Voilà ce qu'on en saurait.
»Ainsi, voilà la vapeur. Tout le monde parle de la vapeur: la vapeur
par-ci, la vapeur par-là.
»Mais qui de nous sait exactement ce que c'est que la vapeur?
»J'en excepte, bien entendu, les personnes qui s'occupent spécialement
de cette question, ingénieurs, mécaniciens, etc.
»Moi, il y a huit jours, j'étais comme tout le monde: je parlais de la
vapeur, mais j'aurais été pendu s'il m'avait fallu dire en quoi consistait
ce phénomène.
»La semaine dernière, je suis allé, au Havre, assister à la réouverture du
Grand-Théâtre.
»Ah! mes amis, vous n'avez pas idée de ce que je suis populaire au

Havre.
»C'est que le Havre est une ville de bon sens qui ne se laisse pas
emballer par les idées nouvelles, ou soi-disant nouvelles.
»Au Havre, c'est moi qui vous le dis, le symbole ne ferait pas un sou.
»Ibsen et Wagner sont appréciés à leur juste place, et on leur préfère
une bonne représentation du Verre d'eau ou de la Favorite.
»Mais, me voilà parti sur le théâtre, alors que je m'étais proposé
d'aborder dans cette causerie la question de la vapeur.
»Quelques Havrais, dont un fort aimable, ma foi, M. Jules Heuzey,
m'ont mené voir un transatlantique.
»Les transatlantiques sont ces énormes bâtiments qui font le trajet,
chaque semaine, entre le Havre et New-York. C'est même de là que
leur vient leur nom de transatlantiques (des mots latins: trans, au delà,
et atlanticum, atlantique).
»J'ai pris un vif plaisir à visiter la Touraine, le plus bel échantillon de la
Compagnie.
»À Paris, on ne saurait s'imaginer tout le confortable et tout le luxe que
l'on peut entasser dans ces maisons flottantes. (Le mot est de M. Jules
Heuzey et il est fort juste.)
* * * * *
»Mais c'est surtout
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