Derniers Contes | Page 2

Edgar Allan Poe
donné un
précieux avant-goût.--Nous espérons, avec le temps, remplir cette tâche intéressante.
Il serait superflu de faire ici l'éloge des Contes et Essais qui composent ce volume. S'ils
n'ont pas au même degré les caractères d'intérêt et de pathétique poignant, les hautes
qualités pittoresques ou dramatiques de certains récits plus connus que l'on est convenu
d'appeler les chefs-d'oeuvre de Poe, ils se recommandent singulièrement pour la plupart,

à notre avis, par une veine d'humour et de malice incomparable, et par une originalité de
composition et de forme d'autant plus frappante que les sujets semblaient moins prêter à
l'inattendu et à la fantaisie. Le fantastique et le grotesque y revêtent un air de gravité et de
sang-froid qui est du plus haut comique, et donne à la satire ou à la leçon morale un relief
des plus saisissants.
A côté de ces qualités vraiment caractéristiques du procédé littéraire de Poe, on
retrouvera dans quelques-uns de ces morceaux--le _Mellonta tauta, le Mille et deuxième
Conte de Schéhérazade_, par exemple,--les profondes vues philosophiques, l'érudition
étendue et surtout l'enthousiasme éclairé pour les merveilleuses découvertes de la science
moderne qui ont inspiré l'admirable Eureka. En allant d'un essai à l'autre, le lecteur sera
émerveillé de l'étonnante souplesse avec laquelle l'auteur sait passer de l'examen des
problèmes les plus ardus des sciences physiques ou morales à la critique légère des filous
et des Reviewers, ou à la charge épique d'un dandy français ou d'un bas-bleu américain.
A y regarder de près, il y a plus de philosophie dans un conte de Poe que dans les gros
livres de nos métaphysiciens.
F. RABBE.

LE DUC DE L'OMELETTE
«_Il arriva enfin dans un climat plus frais._»
COWPER.
Keats est mort d'une critique. Qui donc mourut de l'_Andromaque_[1]? Ames
pusillanimes! De l'Omelette mourut d'un ortolan. _L'histoire en est brève_[2].
Assiste-moi, Esprit d'Apicius!
Une cage d'or apporta le petit vagabond ailé, indolent, languissant, énamouré, du lointain
Pérou, sa demeure, à la Chaussée d'Antin. De la part de sa royale maîtresse la Bellissima,
six Pairs de l'Empire apportèrent au duc de l'Omelette l'heureux oiseau.
Ce soir-là, le duc va souper seul. Dans le secret de son cabinet, il repose languissamment
sur cette ottomane pour laquelle il a sacrifié sa loyauté en enchérissant sur son roi,--la
fameuse ottomane de Cadet.
Il ensevelit sa tête dans le coussin. L'horloge sonne! Incapable de réprimer ses sentiments,
Sa Grâce avale une olive. Au même moment, la porte s'ouvre doucement au son d'une
suave musique, et!... le plus délicat des oiseaux se trouve en face du plus énamouré des
hommes! Mais quel malaise inexprimable jette soudain son ombre sur le visage du
Duc?--«_Horreur!--Chien! Baptiste!--l'oiseau! ah, bon Dieu! cet oiseau modeste que tu as
déshabillé de ses plumes, et que tu as servi sans papier!»
Inutile d'en dire davantage--Le Duc expire dans le paroxisme du dégoût....
* * * * *
«Ha! ha! ha!» dit sa Grâce le troisième jour après son décès.
«Hé! hé! hé!» répliqua tout doucement le Diable en se renversant avec un air de hauteur.
«Non, vraiment, vous n'êtes pas sérieux!» riposta De l'Omelette. «J'ai péché--_c'est
vrai_--mais, mon bon monsieur, considérez la chose!--Vous n'avez pas sans doute
l'intention de mettre actuellement à exécution de si.... de si barbares menaces.»
«Pourquoi pas?» dit sa Majesté--«Allons, monsieur, déshabillez-vous.»
«Me déshabiller?--Ce serait vraiment du joli, ma foi!--Non, monsieur, je ne me
déshabillerai pas. Qui êtes-vous, je vous prie, pour que moi, Duc de l'Omelette, Prince de
Foie-gras, qui viens d'atteindre ma majorité, moi, l'auteur de la Mazurkiade, et Membre

de l'Académie, je doive me dévêtir à votre ordre des plus suaves pantalons qu'ait jamais
confectionnés Bourdon, de la plus délicieuse robe de chambre qu'ait jamais composée
Rombert--pour ne rien dire de ma chevelure qu'il faudrait dépouiller de ses papillottes, ni
de la peine que j'aurais à ôter mes gants?»
«Qui je suis?» dit sa Majesté.--«Ah! vraiment! Je suis Baal-Zebub, prince de la Mouche.
Je viens à l'instant de te tirer d'un cercueil en bois de rose incrusté d'ivoire. Tu étais bien
curieusement embaumé, et étiqueté comme un effet de commerce. C'est Bélial qui t'a
envoyé--Bélial, mon Inspecteur des Cimetières. Les pantalons, que tu prétends
confectionnés par Bourdon, sont une excellente paire de caleçons de toile, et ta robe de
chambre est un linceul d'assez belle dimension.»
«Monsieur!» répliqua le Duc, «je ne me laisserai pas insulter impunément!--Monsieur! à
la première occasion je me vengerai de cet outrage!--Monsieur! vous entendrez parler de
moi! En attendant _au revoir!_»--et le Duc en s'inclinant allait prendre congé de sa
Satanique Majesté, quand il fut arrêté au passage par un valet de chambre qui le fit
rétrograder. Là-dessus, sa Grâce se frotta les yeux, bâilla, haussa les épaules, et réfléchit.
Après avoir constaté avec satisfaction son identité, elle jeta un coup d'oeil sur son
entourage.
L'appartement était superbe. De l'Omelette ne put
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 76
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.