De profundis! - Episode Maritime | Page 6

Carolus
des grands transatlantiques qui font le service direct entre la
France et l'Amérique.
Un homme franchit rapidement la passerelle qui unissait le pont du
navire au quai. Il se dirigea, après une courte hésitation, vers l'entrée du
port. Arrivé sur le Grand-Quai, il pénétra dans une ruelle obscure et
s'arrêta bientôt à la porte d'une maison de modeste apparence. Il frappa.
Une femme âgée parut sur le seuil.
--Le capitaine est-il chez lui?--interrogea le visiteur.
--Me voici!... Que me voulez-vous?--cria une voix rude du fond de la
pièce.
Le visiteur entra. Il se trouva en présence du maître du logis qui
l'examina curieusement et crut devoir réitérer sa question.
L'inconnu se découvrit et se plaça sous la lumière:
--Capitaine Robert, me reconnaissez-vous?
L'autre le fixa longuement, puis, tout à coup, recula, comme frappé de

stupeur:
--Raymond Gosselin!...
Et il resta quelques instants, bouche béante, en regardant avec
ahurissement le jeune homme immobile devant lui. Enfin, se hasardant
à rompre le silence:
--Toi..., c'est bien toi!... Tu n'es donc pas mort!...
--De fait, puisque me voici,--répondit le matelot, en souriant malgré lui.
Le capitaine lui saisit les mains.
--Mon pauvre Raymond!... Que je suis content!... Embrasse-moi
donc!...
Ils s'étreignirent longuement.
--Tu vas tout me raconter,--continua le capitaine.--Mais tu arrives, tu
dois avoir faim.... Holà! la mère, à souper pour ce garçon!...
La vieille qui, discrètement, s'était retirée dans la pièce voisine, rentra
alors. Ce fut de sa part, en reconnaissant le jeune homme, une nouvelle
surprise, mélangée de frayeur et suivie de près d'une seconde accolade
à laquelle notre ami se prêta de bon coeur.
Il était assis, quelques instants après, devant un solide repas et se
disposait, tout en mangeant, à faire le récit que réclamait son hôte.
Soudain il tressaillit; la pâleur couvrit ses traits, pendant que son regard
s'attachait avec insistance à celui du capitaine:
--Tout le monde me croit donc mort?--interrogea-t-il d'une voix mal
assurée.
--Tout le monde. Qui pouvait supposer que tu avais échappé à cette
catastrophe sans nom?... On t'a vu tomber de la barque. Les camarades,
en rentrant au port, ont déclaré qu'ils n'avaient pu te sauver.... On a

espéré quelque temps que tu avais été recueilli par les hommes de la
chaloupe, puis cette opinion a été abandonnée, après quelques mois
d'attente.... D'où vient que la nouvelle de ton sauvetage n'a pas été
envoyée ici?
--C'est mon histoire qu'il faut vous raconter, capitaine. Ecoutez-moi. Je
serai bref....
Raymond épongea la sueur froide qui perlait sur son front et continua
d'une voix sourde:
--Les matelots de la chaloupe, après m'avoir recueilli sans connaissance,
renoncèrent à poursuivre leur sauvetage. Ils regagnèrent le navire d'où
on leur faisait signe de retourner à la hâte.... Quand je revins à moi,
j'appris que j'étais à bord d'un bateau de Hambourg, à destination de
New-York.... Je suppliai pour qu'on me débarquât en Angleterre. Le
capitaine s'y refusa. Il fallait éviter les côtes, la tempête avait déjà
retardé le navire, et les armateurs pouvaient subir les plus grandes
pertes des suites d'un retard plus considérable.... Il fallut me résigner.
J'offris même mes services. Mais j'étais incapable de supporter la plus
petite fatigue.... Un matin, je restai cloué au lit, en proie à la fièvre.
Pendant quelques jours le mal me balança entre la vie et la mort....
Nous approchions de New-York, quand la tempête nous assaillit de
nouveau. Je fus réveillé, une nuit, par un matelot alsacien qui m'avait
pris en affection:--Camarade,--me dit-il,--il faut vous lever, tout de
suite. Le navire fait eau, on renonce à le sauver.... Laissez-moi faire.--Il
m'enleva dans ses bras robustes. L'émotion était trop forte, je
m'évanouis. Quand je revins à moi, ranimé par les soins de mon
sauveur, nous étions trois hommes à bord d'un léger canot, presque sans
vivres, presque sans eau.... Combien de temps errâmes-nous sur cette
mer tourmentée?... Comment le saurais-je?... Je n'avais plus conscience
de la vie et je m'étonne que mes compagnons ne me jetèrent pas à la
mer, me croyant mort.... Je me rappelle seulement qu'un vapeur allant à
New-York nous recueillit; j'ai ce vague souvenir que Fritz, mon
sauveur, veilla à mes côtés jusqu'au moment où nous débarquâmes en
Amérique. Là, toujours grâce aux soins de ce brave coeur, on me
transporta dans un hôpital.... Après cela, il y a dans ma vie une lacune,

capitaine.... Je devins fou....
--Fou!--interrompit le capitaine avec stupéfaction.
--Oui, fou.... Oh! vous devez comprendre le choc que ma pauvre raison
avait subi quand, tout à coup, je m'étais vu arraché à mes rêves de
bonheur; à la pensée que peut-être ceux que j'aimais me croyaient
mort!... Je devins fou.... Quand je revins à la réalité, j'étais au fond d'un
hôpital, à quelques cents lieues de France! J'étais resté là une année!...
Ma guérison fut constatée et le consulat français me fournit les moyens
de me
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