De limportance des livres de raison | Page 4

Louis Guibert
y a, dans les notes relatives aux arrangements de famille, des détails extrêmement précieux sur certains bijoux, certains objets rares. Les contrats de mariage, qu'on trouve à chaque pas, fournissent le plus souvent des indications sur le trousseau de la femme, l'étoffe qui fournit ses vêtements, ceux de fête tout au moins, leur couleur, leur valeur, etc.
Auprès des inventaires, il faut noter les mentions relatives aux prêts. On a toujours beaucoup emprunté; mais la forme des emprunts n'a pas moins varié que celle des chapeaux. Autrefois, on prêtait le plus souvent sur gage. Fait bizarre: le prêt sur gage mobilier nous répugne aujourd'hui alors que l'obligation hypothécaire n'a rien qui choque notre délicatesse. Nos pères connaissaient l'hypothèque, l'obligation, la reconnaissance, et cependant ils usaient fort de l'engagement. Le cabinet de certains riches bourgeois d'autrefois était un véritable mont-de-piété en miniature. Un père de famille se trouvait-il à court d'argent, il allait tout bonnement chez son voisin, lui remettait un ou plusieurs des objets de prix qui ornaient sa maison, des bijoux qu'il cachait au fond de ses coffres, et il recevait en échange les espèces monnayées dont il avait besoin. Quand ses propres débiteurs le remboursaient, que ses métayers lui remettaient le montant de la vente d'un boeuf ou d'un lot de moutons, il s'acquittait, reprenait son gage et tout le monde trouvait la chose la plus naturelle et la plus légitime du monde, puisque tout le monde usait couramment de ce mode de crédit.
Félicitons-nous de la persistance de cet usage: grace à lui, nombre de livres de raison conservent l'indication, parfois même une description sommaire de beaucoup d'objets intéressants. On connaissait ce que renfermèrent les trésors des églises, les garde-meubles et les coffres des argentiers des princes; mais qui aurait jamais, sans le secours de nos manuscrits, plongé le regard dans les bo?tes et les tiroirs les plus intimes de nos ancêtres, et connu l'opulence de leurs trésors domestiques? Le mot d'opulence n'est pourtant pas trop fort. Jugez-en par quelques articles pris au hasard dans les cahiers des Péconnet (XVe au XVIIe siècle). Nous y voyons figurer un ?estuy de miroir esmaillé?; des ?crochets d'or et de perles?; une ?cordelière d'or esmaillé?; un ?reliquaire d'or?; plusieurs ?demi-ceints? d'argent; un ?pendant d'or et vitres?; des ?aiguières et salières d'argent?; des ?enseignes d'or esmaillé?; ?des chandeliers, des flambeaux et un coquemard d'argent, etc.?
La vaisselle d'argent fait son apparition non seulement dans les relevés de cette nature, mais aussi dans les notes concernant les partages de famille, aux registres des Texendier de l'Aumosnerie, notamment (1636-1703). On trouve des cuillers et des gobelets d'argent ?fa?on de Limoges? chez les Péconnet, qui appartenaient à une famille d'orfèvres; mais ces derniers se servaient surtout, comme la plupart des riches bourgeois de leur temps, de vaisselle d'étain fin. L'un d'eux, Jean Péconnet (1644-1678), donne complaisamment le détail d'un service de ce Genre qu'il a acheté à Paris, lors d'un de ses voyages. Toutes les pièces sont à ses armes et portent en outre ses initiales. Qu'on juge si cette vaisselle est soigneusement conservée et si on prend des précautions pour la garantir contre la négligence ou la brutalité des domestiques. Le ma?tre de maison inventorie du reste tout ce qui est laissé à la disposition de ces derniers. C'est ainsi que le sieur Beynes, de Meymac (milieu du XVIIe siècle), note le nombre exact d'assiettes, plats, écuelles remis par lui à sa servante pour les besoins journaliers du ménage et dont elle lui devra compte au bout de l'année.
Que dirons-nous du chapitre des achats et des cadeaux? Sous ce rapport, Le Journal d'élie de Roffignac (1588-89) est sans contredit un des manuscrits les plus intéressants qui nous soient passés par les mains. La note des dépenses quotidiennes du gentilhomme nous apprend ce qu'il mange, comment il s'habille, comment il s'éclaire. Nous le voyons faire demander au boucher tant?t une ?longe de velle?, tant?t un ?gigot de porc? ou ?la moitié d'un mouton?. Parfois il envoie un de ses domestiques à Brive ou à Tulle pour acheter une demi-douzaine d'oranges, des amandes, du riz, du sucre, des épices, du gibier: bécasses, lièvres et perdrix, pour les jours de gala; des oeufs, de la morue ou des harengs pour les jours d'abstinence. De temps en temps le Journal enregistre l'achat d'un paquet de chandelles, de 8, 10 ou 12 livres en général; ailleurs on note des gants, des chaussures, des rubans, cinq sous d'aiguilles, six milliers d'épingles, des matières pour faire de l'encre, une écritoire, un étui de lunettes, des colliers de lévriers, des drogues, des étriers, de la toile, de la passementerie. L'excellent seigneur va rendre visite à l'évêque de Limoges, Henri de la Marthonie, et il profite de ce voyage pour faire des acquisitions aussi nombreuses que variées: une paire de jarretières de soie, deux douzaines
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 11
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.