De limportance des livres de raison | Page 5

Louis Guibert
d'aiguillettes, deux coiffes de toile, une épée et un haquet, avec leur fourreau, ?un baston garny d'espée?, trois paires de mors, trois livres d'amandes, une de poires, une demi-livre de coton, de la poudre, un chapeau et les approvisionnements pharmaceutiques de rigueur. Chaque objet est indiqué avec le prix en regard.
Martial de Gay, quand il revient de Paris, rapporte, lui aussi, maint objet utile, mais surtout des parures et des bijoux pour sa jeune et charmante femme, Barbe Chenaud. C'est tant?t un ?manchon de velours? avec sa broderie d'or; tant?t des ?boutons d'or? pour orner un agnus; tant?t une ?bourse brodée? ou un ?porte-fraise?; tout cela sans préjudice des aiguières et bassins d'argent, coffres de bahut, toile ouvrée à faire nappes, et autres objets destinés au ménage.
En nous initiant à tous les travaux de construction ou de réparation qu'ils font exécuter, les auteurs des livres de raison nous fournissent de précieux détails sur ces batiments eux-mêmes, leur aménagement, leur disposition, leurs commodités et leurs inconvénients. Gérald et Jean Massiot, de Saint-Léonard (1431-1490), nous montrent les aqueducs et les égouts municipaux se dirigeant à travers les caves et les souterrains qui s'étendent sous les maisons, et le domaine privé et le domaine public s'enchevêtrant en d'inextricables dédales. A la même époque, Etienne Benoist (1426-1451?) nous entretient des difficultés que présente le nettoyage de certains cloaques et des précautions à prendre pour procéder à cette délicate opération. Vielbans, consul de Brive (1571-1598) fait conna?tre par quelques passages de son registre combien l'h?tel de ville est alors en mauvais état. Nous trouvons enfin dans le manuscrit de Martial de Gay de nombreux détails sur sa belle maison du Portail-Imbert, dont il afferma longtemps une partie au moins aux officiers de la Généralité. En 1597, par exemple, nous le voyons refaire les vitraux de la ?salle neuve?, qui sont décorés alors de quatre écussons représentant: le premier, l'écu de France; le second, l'écu de Navarre; le troisième, les propres armoiries du ma?tre du logis, et le quatrième, celles de sa femme. Dans un voyage à Paris, le lieutenant-général avait acheté deux tableaux: le portrait de La reine Marguerite et celui de la reine Louise; il les avait placés dans des cadres or et noir, avec des rideaux de taffetas pour préserver les peintures, suivant une coutume fort répandue à cette époque et qu'observent religieusement de nos jours certains musées et certaines églises de Belgique et d'ailleurs, non point, imaginons-nous, dans le seul but de ménager les couleurs des chefs-d'?uvre dont ils ont la garde.
Ce ne sont pas là, du reste, les seuls tableaux que Martial e?t dans sa maison; il possédait aussi le portrait de sa femme et le sien, exécutés, vraisemblablement, à Limoges, par un Italien du nom de Georges.
Il faut le reconna?tre: nos manuscrits limousins fournissent peu de renseignements pour l'histoire de l'art. Nos pères, quand ils savaient dessiner, utilisaient tout feuillet blanc qui leur tombait sous la main. Un vieux traité de perspective (De artificiali perspectiva, Toul, 1521), relié avec les Regole generale de archiettura, de Serlio, et conservé à la Bibliothèque communale de Limoges, montre sur ses marges et ses pages blanches de curieux dessins à la plume et à la sanguine, exécutés en 1609 et 1610, par Jean Guibert, ?maistre escripvain et painctre?. Les livres de raison, comme les ouvrages de bibliothèque, sont parfois illustrés de la sorte. Tel est celui que nous attribuons à Jacques Geoffre, de Brive (1698-1774); plusieurs de ses pages sont couvertes de dessins à la sanguine, retouchés à l'encre, et non sans intérêt. On y voit des esquisses de la tête du Christ, de la Vierge, de saint Jean, des saintes femmes; des études assez curieuses pour les figures et le geste des bourreaux de la flagellation; des portraits, etc. Antoine Reissent, curé de Goulles, a collé sur son registre (1668-1674) un certain nombre de gravures dont la plupart sont tracées d'une pointe na?ve à l'excès et passablement barbare. --Par malheur, nous ne connaissons de livre de raison d'aucun de nos artistes du XVIe siècle, d'aucun de nos grands émailleurs; mais de ce que nous n'en avons pas découvert encore, il ne s'ensuit pas qu'on doive renoncer à en trouver. Ne possède-t-on pas le précieux Tagebuch d'Albert Dürer? Pourquoi désespérer de mettre la main sur le registre domestique d'un Léonard Limosin, d'un Pierre Raymond ou d'un autre de ces artisans illustres qui se sont si largement inspirés de l'oeuvre du ma?tre allemand? Ce serait là, pour l'histoire de l'art fran?ais comme pour l'histoire de Notre province, une trouvaille sans prix.
Les livres de raison ne fournissent pas seulement des détails sur les habitations privées, sur leur ameublement et les oeuvres d'art qui les décorent. Nous avons déjà signalé, dans le manuscrit de Veilbans, quelques indications sur l'état de la maison commune de Brive; il en
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