De limportance des livres de raison | Page 3

Louis Guibert
avons tenu à faire ce dépouillement. Notre classification n'a rien d'absolument rigoureux, puisque beaucoup de ces registres ont été successivement tenus par plusieurs personnes, n'exer?ant pas toujours la même profession. Toutefois, en assignant chaque livre de raison à son principal auteur, celui qui lui donne le trait essentiel et distinctif de sa physionomie, on peut dire que ce relevé ne manque pas d'une certaine exactitude. Tel qu'il est, il nous a semblé mériter votre attention. Le voici:
Prêtres........................................ 12 Gentils-hommes...................................5 Magistrats, juges de tout rang ................ 15 Fonctionnaires de divers ordres................. 5 Notaires........................................ 8 Avocats, hommes de loi ou d'affaires............ 7 Chirurgien...................................... 1 Imprimeurs...................................... 3 Négociants et riches bourgeois................. 28 Petits marchands, aubergistes, propriétaires de campagne.................................. 16 Industriels et artisans......................... 3 Dame noble...................................... 1 Total égal. ........................... 104
Le plus ancien des livres de ce genre dont nous possédions le texte est celui d'un juge de Saint-Junien, Pierre Esperon, renfermant des mentions qui remontent à 1384; mais nous avons la preuve, par un passage du manuscrit des Benoist, de Limoges, que, dès le treizième siècle, de semblables registres existaient au moins au foyer des familles considérables de notre pays.
Les indications générales que nous venons de donner sur les anciens registres domestiques, suffiraient à établir leur importance pour les études archéologiques. Nous voudrions, toutefois, insister d'une fa?on particulière sur ce point, et montrer combien d'indications précieuses les personnes adonnées à ces travaux peuvent recueillir dans les livres de raison. Nous nous bornerons à prendre quelques exemples dans nos manuscrits limousins, qui, à eux seuls, nous fournissent très suffisamment de quoi appuyer et justifier notre thèse.
L'histoire, qui examine et commente des faits,--la sociologie, qui recherche et explique des rapports,--la statistique, qui groupe des chiffres; la science économique, la médecine, l'agriculture, bien d'autres sciences et bien d'autres arts trouvent une ample moisson dans nos registres domestiques. Cette constatation seule établirait leur importance documentale au point de vue de l'archéologie. Celle-ci, en effet, n'a pas seulement pour but d'étudier et de comparer les objets anciens, le matériel de l'humanité à ses divers ages: édifices et mobilier, vêtements et parures, armes et outils; elle est amenée, en s'occupant de l'usage assigné à chaque objet, à considérer l'homme lui-même, ses conditions d'existence, le milieu dans lequel il vit: de là des incursions de tous les instants dans le domaine de la sociologie et de l'histoire.
Or, aucun document ne nous donne, de l'existence et de l'intérieur d'autrefois, une vue plus claire et plus complète que les livres de raison. Après la lecture de certains d'entre eux, nous connaissons la maison aussi bien que le propriétaire lui-même; nous savons quels meubles garnissent ses appartements, d'où viennent la plupart et ce qu'ils co?tent; combien de barriques de vin sont entassées dans son cellier et ce qu'elles valent; combien de setiers de grain loge son grenier dans les années d'abondance et dans celles de disette. Feuilletez le livre des Malliard de Brive par exemple: quels renseignements précis sur toutes choses et comme ces mille détails caractéristiques vous mettent pour ainsi dire chaque objet sous les yeux. Quoi de plus instructif que l'inventaire des vêtements, fourrures et bijoux d'Isabelle de Solminhac, femme de Malliard? Prenez les divers manuscrits des Peconnet de Limoges, leur intérieur sans luxe mais confortable et cossu ne revit-il pas devant vous? Voici le ?coffre de bahut? acheté à Paris, les trois lits avec leur garniture en tapisserie de Bergame, les dix huit chaises recouvertes de la même étoffe et dont le bois --celui d'une douzaine tout ou moins--a été acheté vers le même temps c'est-à-dire en 1661. Des huit pièces de Bergame qui, avec un grand tapis sont revenues y compris le port et la douane à 91 livres 10 sous, il en a été réservé une--le père de famille a soin de l'indiquer lui-même--pour décorer la fa?ade de sa demeure les jours de processions solennelles. Parcourez le cahier domestique du lieutenant général Martial de Gay (1591-1602): vous y noterez à chaque page des mentions d'un réel intérêt. Ce ne sera pas seulement son mobilier que vous conna?trez au bout de quelques heures de lecture ce seront ses vêtements et ceux de sa femme, les bijoux et les parures de celle-ci, les armes du magistrat; vous le verrez s'adresser à un ma?tre de forges pour avoir de bonnes plaques de fer et les donner à un habile ouvrier de Limoges qui lui en fabriquera une armure complète, plus une cuirasse pour un de ses valets. On est au temps de la Ligue et trop souvent la main se porte à l'épée.
Tout le monde sait quel prix l'archéologie attache à juste titre aux inventaires: il n'est presque point de livre de raison qui n'en contienne plusieurs, tant?t amples et minutieux, comme ceux du registre des Malliard, tant?t plus modestes et plus sommaires, comme ceux du livre de Pierre Esperon. Il
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 11
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.