je pense,
a feu Jacques Callot Le plus fol spadassin a mettre entre ses masques: Feutre a panache
triple et pourpoint a six basques, Cape que par derriere, avec pompe, l'estoc Leve, comme
une queue insolente de coq, Plus fier que tous les Artabans dont la Gascogne Fut et sera
toujours l'alme Mere Gigogne, Il promene, en sa fraise a la Pulcinella, Un nez!. . .Ah!
messeigneurs, quel nez que ce nez-la!. . . On ne peut voir passer un pareil nasigere Sans
s'ecrier: 'Oh! non, vraiment, il exagere!' Puis on sourit, on dit: 'Il va l'enlever. . .' Mais
Monsieur de Bergerac ne l'enleve jamais.
LE BRET (hochant la tete): Il le porte,--et pourfend quiconque le remarque!
RAGUENEAU (fierement): Son glaive est la moitie des ciseaux de la Parque!
PREMIER MARQUIS (haussant les epaules): Il ne viendra pas!
RAGUENEAU: Si!. . .Je parie un poulet A la Ragueneau!
LE MARQUIS (riant): Soit!
(Rumeurs d'admiration dan la salle. Roxane vient de paraitre dans sa loge. Elle s'assied
sur le devant, sa duegne prend place au fond. Christian, occupe a payer la distributrice, ne
regarde pas.)
DEUXIEME MARQUIS (avec des petit cris): Ah, messieurs! mais elle est
Epouvantablement ravissante!
PREMIER MARQUIS: Une peche Qui sourirait avec une fraise!
DEUXIEME MARQUIS: Et si fraiche Qu'on pourrait, l'approchant, prendre un rhume de
coeur!
CHRISTIAN (leve la tete, apercoit Roxane, et saisit vivement Ligniere par le bras): C'est
elle!
LIGNIERE (regardant): Ah! c'est elle?. . .
CHRISTIAN: Oui. Dites vite. J'ai peur.
LIGNIERE (degustant son rivesalte a petits coups): Magdaleine Robin, dite
Roxane.--Fine. Precieuse.
CHRISTIAN: Helas!
LIGNIERE: Libre. Orpheline. Cousine De Cyrano,--dont on parlait. . .
(A ce moment, un seigneur tres elegant, le cordon blue en sautoir, entre dans la loge et,
debout, cause un instant avec Roxane.)
CHRISTIAN (tressaillant): Cet homme?. . .
LIGNIERE (qui commence a etre gris, clignant de l'oeil): He! he!. . . --Comte de Guiche.
Epris d'elle. Mais marie A la niece d'Armand de Richelieu. Desire Faire epouser Roxane
a certain triste sire, Un monsieur de Valvert, vicomte. . .et complaisant. Elle n'y souscrit
pas, mais de Guiche est puissant: Il peut persecuter une simple bourgeoise. D'ailleurs j'ai
devoile sa manoeuvre sournoise Dans une chanson qui. . .Ho! il doit m'en vouloir! --La
fin etait mechante. . .Ecoutez. . .
(Il se leve en titubant, le verre haut, pret a chanter.)
CHRISTIAN: Non. Bonsoir.
LIGNIERE: Vous allez?
CHRISTIAN: Chez monsieur de Valvert!
LIGNIERE: Prenez garde: C'est lui qui vous tuera! (Lui designant du coin de l'oeil
Roxane): Restez. On vous regarde.
CHRISTIAN: C'est vrai!
(Il reste en contemplation. Le groupe de tire-laine, a partir de ce moment, le voyant la tete
en l'air et bouche bee, se rapproche de lui.)
LIGNIERE: C'est moi qui pars. J'ai soif! Et l'on m'attend --Dans les tavernes!
(Il sort, zigzaguant.)
LE BRET (qui a fait le tour de la salle, revenant vers Ragueneau, d'une voix rassuree):
Pas de Cyrano.
RAGUENEAU (incredule): Pourtant. . .
LE BRET: Ah! je veux esperer qu'il n'a pas vu l'affiche!
LA SALLE: Commencez! Commencez!
Scene 1.III.
Les memes, moins Ligniere; De Guiche, Valvert, puis Montfleury.
UN MARQUIS (voyant de Guiche, qui descend de la loge de Roxane, traverse le parterre,
entoure de seigneurs obsequieux, parmi lesquels le vicomte de Valvert): Quelle cour, ce
de Guiche!
UN AUTRE: Fi!. . .Encore un Gascon!
LE PREMIER: Le Gascon souple et froid, Celui qui reussit!. . .Saluons-le, crois-moi.
(Ils vont vers de Guiche.)
DEUXIEME MARQUIS: Les beaux rubans! Quelle couleur, comte de Guiche?
'Baise-moi-ma-mignonne' ou bien 'Ventre-de-biche'?
DE GUICHE: C'est couleur 'Espagnol malade'.
PREMIER MARQUIS: La couleur Ne ment pas, car bientot, grace a votre valeur,
L'Espagnol ira mal, dans les Flandres!
DE GUICHE: Je monte Sur scene. Venez-vous? (Il se dirige, suivi de tous les marquis et
gentilshommes, vers le theatre. Il se retourne et appelle): Viens, Valvert!
CHRISTIAN (qui les ecoute et les observe, tressaille en entendant ce nom): Le vicomte!
Ah! je vais lui jeter a la face mon. . . (Il met la main dans sa poche, et y rencontre celle
d'un tire-laine en train de le devaliser. Il se retourne): Hein?
LE TIRE-LAINE: Ay!. . .
CHRISTIAN (sans le lacher): Je cherchais un gant!
LE TIRE-LAINE (avec un sourire piteux): Vous trouvez une main. (Changeant de ton,
bas et vite): Lachez-moi. Je vous livre un secret.
CHRISTIAN (le tenant toujours): Quel?
LE TIRE-LAINE: Ligniere. . . Qui vous quitte. . .
CHRISTIAN (de meme): Eh! bien?
LE TIRE-LAINE: . . .touche a son heure derniere. Une chanson qu'il fit blessa quelqu'un
de grand, Et cent hommes--j'en suis--ce soir sont postes!. . .
CHRISTIAN: Cent! Par qui?
LE TIRE-LAINE: Discretion. . .
CHRISTIAN (haussant les epaules): Oh!
LE TIRE-LAINE (avec beaucoup de dignite): Professionnelle!
CHRISTIAN: Ou seront-ils postes?
LE TIRE-LAINE: A la porte de Nesle. Sur son chemin.
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