Prevenez-le!
CHRISTIAN (qui lui lache enfin le poignet): Mais ou le voir!
LE TIRE-LAINE: Allez courir tous les cabarets: Le Pressoir D'Or, la Pomme de Pin, la
Ceinture qui craque, Les Deux Torches, les Trois Entonnoirs,--et dans chaque, Laissez un
petit mot d'ecrit l'avertissant.
CHRISTIAN: Oui, je cours! Ah! les gueux! Contre un seul homme, cent! (Regardant
Roxane avec amour): La quitter. . .elle! (Avec fureur, Valvert): Et lui!. . .--Mais il faut
que je sauve Ligniere!. . .
(Il sort en courant.--De Guiche, le vicomte, les marquis, tous les gentilshommes ont
disparu derriere le rideau pour prendre place sur les banquettes de la scene. Le parterre
est completement rempli. Plus une place vide aux galeries et aux loges.)
LA SALLE: Commencez.
UN BOURGEOIS (dont la perruque s'envole au bout d'une ficelle, pechee par un page de
la galerie superieure): Ma perruque!
CRIS DE JOIE: Il est chauve!. . . Bravo, les pages!. . .Ha! ha! ha!. . .
LE BOURGEOIS (furieux, montrant le poing): Petit gredin!
RIRES ET CRIS (qui commencent tres fort et vont decroissant): Ha! ha! ha! ha! ha! ha!
(Silence complet.)
LE BRET (etonne): Ce silence soudain?. . . (Un spectateur lui parle bas): Ah?
LE SPECTATEUR: La chose me vient d'etre certifiee.
MURMURES (qui courent): Chut!--Il parait?. . .--Non!. . .--Si1--Dans la loge grillee.--
Le Cardinal!--Le Cardinal?--Le Cardinal!
UN PAGE: Ah! diable, on ne va pas pouvoir se tenir mal!. . .
(On frappe sur la scene. Tout le monde s'immobilise. Attente.)
LA VOIX D'UN MARQUIS (dans le silence, derriere le rideau): Mouchez cette
chandelle!
UN AUTRE MARQUIS (passant la tete par la fente du rideau): Une chaise!
(Une chaise est passee, de main en main, au-dessus des tetes. Le marquis la prend et
disparait, non sans avoir envoye quelques baisers aux loges.)
UN SPECTATEUR: Silence!
(On refrappe les trois coups. Le rideau s'ouvre. Les marquis assis sur les cotes, dans des
poses insolentes. Toile de fond representant un decor bleuatre de pastorale. Quatre petits
lustres de cristal eclairent la scene. Les violons jouent doucement.)
LE BRET (a Ragueneau, bas): Montfleury entre en scene?
RAGUENEAU (bas aussi): Oui, c'est lui qui commence.
LE BRET: Cyrano n'est pas la.
RAGUENEAU: J'ai perdu mon pari.
LE BRET: Tant mieux! tant mieux!
(On entend un air de musette, et Montfleury parait en scene, enorme, dans un costume de
berger de pastorale, un chapeau garni de roses penche sur l'oreille, et soufflant dans une
cornemuse enrubannee.)
LE PARTERRE (applaudissant): Bravo, Montfleury! Montfleury!
MONTFLEURY (apres avoir salue, jouant le role de Phedon): 'Heureux qui loin des
cours, dans un lieu solitaire, Se prescrit a soi-meme un exil volontaire, Et qui, lorsque
Zephire a souffle sur les bois. . .'
UNE VOIX (au milieu du parterre): Coquin, ne t'ai-je pas interdit pour un mois?
(Stupeur. Tout le monde se retourne. Murmures.)
VOIX DIVERSES: Hein?--Quoi?--Qu'est-ce?. . .
(On se leve dans les loges, pour voir.)
CUIGY: C'est lui!
LE BRET (terrifie): Cyrano!
LA VOIX: Roi des pitres! Hors de scene a l'instant!
TOUTE LA SALLE (indignee): Oh!
MONTFLEURY: Mais. . .
LA VOIX: Tu recalcitres?
VOIX DIVERSES (du parterre, des loges): Chut!--Assez!--Montfleury, jouez!--ne
craignez rien!. . .
MONTFLEURY (d'une voix mal assuree): 'Heureux qui loin des cours dans un lieu
sol. . .'
LA VOIX (plus menacante): Eh bien! Faudra-t-il que je fasse, o Monarque des droles,
Une plantation de bois sur vos epaules?
(Une canne au bout d'un bras jaillet au-dessus des tetes.)
MONTFLEURY (d'une voix de plus en plus faible): 'Heureux qui. . .'
(La canne s'agite.)
LA VOIX: Sortez!
LE PARTERRE: Oh!
MONTFLEURY (s'etranglant): 'Heureux qui loin des cours. . .'
CYRANO (surgissant du parterre, debout sur une chaise, les bras croises, son feutre en
bataille, la moustache herissee, le nez terrible): Ah! je vais me facher!. . .
(Sensation a sa vue.)
Scene 1.IV.
Les memes, Cyrano, puis Bellerose, Jodelet.
MONTFLEURY (aux marquis): Venez a mon secours, Messieurs!
UN MARQUIS (nonchalamment): Mais jouez donc!
CYRANO: Gros homme, si tu joues Je vais etre oblige de te fesser les joues!
LE MARQUIS: Assez!
CYRANO: Que les marquis se taisent sur leurs bancs, Ou bien je fais tater ma canne a
leurs rubans!
TOUS LES MARQUIS (debout): C'en est trop!. . .Montfleury. . .
CYRANO: Que Montfleury s'en aille, Ou bien je l'essorille et le desentripaille!
UNE VOIX: Mais. . .
CYRANO: Qu'il sorte!
UNE AUTRE VOIX: Pourtant. . .
CYRANO: Ce n'est pas encor fait? (Avec le geste de retrousser ses manches): Bon! je
vais sur la scene en guise de buffet, Decouper cette mortadelle d'Italie!
MONTFLEURY (rassemblant toute sa dignite): En m'insultant, Monsieur, vous insultez
Thalie!
CYRANO (tres poli): Si cette Muse, a qui, Monsieur, vous n'etes rien, Avait l'honneur de
vous connaitre, croyez bien Qu'en vous voyant si gros et bete comme une urne, Elle vous
flanquerait quelque part son
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