Curiosités judiciaires et historiques du moyen âge. Procès contre les animaux | Page 6

Émile Agnel
matière par un
célèbre jurisconsulte du seizième siècle[37]. L'auteur de cette
consultation, ou plutôt de ce traité ex professo, était Barthélemi de
Chasseneuz ou Chassanée[38], successivement avocat à Autun,
conseiller au parlement de Paris et premier président du parlement
d'Aix.
Après avoir parlé dès le début de l'usage où sont les habitants du

territoire de Beaune de demander à l'officialité d'Autun
l'excommunication de certains insectes plus gros que des mouches, et
appelés vulgairement hurebers (huberes)[39], ce qui leur est toujours
accordé, Chasseneuz traite la question de savoir si une telle procédure
est convenable. Il divise son sujet en cinq parties, dans chacune
desquelles il saisit l'occasion d'étaler l'érudition la plus vaste et souvent
la plus déplacée; mais cette habitude, comme on le sait, était ordinaire
aux écrivains de cette époque.
Chasseneuz, pour consoler les Beaunois du fléau qui les afflige, leur
apprend que les hurebers dont ils se plaignent ne sont rien en
comparaison de ceux que l'on rencontre dans les Indes. Ces derniers
n'ont pas moins de trois pieds de long; leur jambes sont armées de dents,
dont on fait des scies dans le pays. Souvent on les voit combattre entre
eux avec les cornes qui surmontent leurs têtes. Le meilleur moyen de se
délivrer de ce fléau de Dieu, c'est de payer exactement les dîmes et les
redevances ecclésiastiques, et de faire promener autour du canton une
femme les pieds nus et dans l'état que Chasseneuz désigne en ces
termes: Accessu mulieris, menstrualis, omnia animalia fructibus terræ
officientia flavescunt et sic ex his apparet unum bonum ex muliere
menstrua resultare[40].
Indiquant le nom latin qui convient le mieux aux terribles hurebers,
notre jurisconsulte prouve qu'ils doivent être appelés locustæ; il fortifie
son opinion par des citations qu'il emprunte encore à tous les auteurs de
l'antiquité sacrée et profane.
L'auteur discute le point de savoir s'il est permis d'assigner les animaux
dont il s'agit devant un tribunal, et finit après de longues digressions par
décider que les insectes peuvent être cités en justice[41].
Chasseneuz examine ensuite si les animaux doivent être cités
personnellement, ou s'il suffit qu'ils comparaissent par un fondé de
pouvoir. «Tout délinquant, dit-il, doit être cité personnellement. En
principe, il ne peut pas non plus se faire représenter par un fondé de
pouvoir; mais est-ce un délit que le fait imputé aux insectes du pays de
Beaune? Oui, puisque le peuple en reçoit des scandales, étant privé de
boire du vin, qui, d'après David, réjouit le coeur de Dieu et celui de

l'homme, et dont l'excellence est démontrée par les dispositions du droit
canon, portant défense de promouvoir aux ordres sacrés celui qui
n'aime pas le vin[42].»
Cependant Chasseneuz conclut qu'un défenseur nommé d'office par le
juge peut également se présenter pour les animaux assignés, provoquer
en leur nom des excuses pour leur non-comparution et des moyens pour
établir leur innocence, et même des exceptions d'incompétence ou
déclinatoires; en un mot, proposer toutes sortes de moyens en la forme
et au fond[43].
Après avoir discuté fort longuement la question de savoir devant quel
tribunal les animaux doivent être traduits, il décide que la connaissance
du délit appartient au juge ecclésiastique, en d'autres termes, à
l'official[44].
Enfin, dans la dernière partie de son traité, Chasseneuz se livre à de
longues recherches sur l'anathème ou excommunication. Il développe
de nombreux arguments au moyen desquels il arrive à conclure que les
animaux peuvent être excommuniés et maudits. Parmi ces arguments,
qui sont au nombre de douze, nous ferons remarquer ceux-ci:
«Il est permis d'abattre et de brûler l'arbre qui ne porte pas de fruit; à
plus forte raison peut-on détruire ce qui ne cause que du dommage.
Dieu veut que chacun jouisse du produit de son labeur.
«Toutes les créatures sont soumises à Dieu, auteur du droit canon; les
animaux sont donc soumis aux dispositions de ce droit.
«Tout ce qui existe a été créé pour l'homme; ce serait méconnaître
l'esprit de la création que de tolérer des animaux qui lui soient
nuisibles[45].
«La religion permet de tendre des piéges aux oiseaux ou autres
animaux qui détruisent les fruits de la terre. C'est ce que constate
Virgile, dans ces vers du premier livre des Géorgiques:
Rivas deducere nulla Relligio vetuit, segeti prætendere sepem, Incidias

avibus moliri.
«Or le meilleur de tous les piéges est sans contredit le foudre de
l'anathème[46].
«On peut faire pour la conservation des récoltes même ce qui est
défendu par les lois: ainsi les enchantements, les sortiléges prohibés par
le droit, sont permis toutes les fois qu'ils ont pour objet la conservation
des fruits de la terre; on doit, à plus forte raison, permettre
d'anathématiser les insectes qui dévorent les fruits, puisque, loin d'être
défendu comme le sont les sortiléges, l'anathème est au contraire une
arme autorisée et employée par l'Église[47].»
À l'appui de ces assertions, l'auteur cite
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