Curiosités judiciaires et historiques du moyen âge. Procès contre les animaux | Page 5

Émile Agnel
cet animal. Telles étaient les idées de nos pères sur le
point qui nous occupe; mais elles se modifièrent successivement. En
effet, à partir de la seconde moitié du seizième siècle, les annales de la
jurisprudence ou les historiens ne nous offrent plus d'exemples de
condamnations capitales prononcées contre des boeufs ou des
pourceaux, à raison du meurtre d'un homme ou d'un enfant. C'est qu'à
cette époque on avait presque renoncé à ce mode de procédure aussi
absurde que ridicule contre les animaux, et que pour la poursuite des
faits dont ils s'étaient rendus coupables, on était revenu aux seuls et
vrais principes sur cette matière, en condamnant à une amende et à des
dommages-intérêts le propriétaire de l'animal nuisible. On ne faisait
plus le procès à la bête malfaisante, on ordonnait purement et
simplement qu'elle fût assommée.
Au quinzième et au seizième siècle, dans certains procès où figurait un
homme accusé d'avoir commis avec un animal un crime que nous ne
pouvons désigner, l'homme convaincu de ce crime était toujours
condamné à être brûlé avec l'animal qu'il avait eu pour complice[30], et
même on livrait aux flammes les pièces du procès, afin d'ensevelir la
mémoire du fait atroce qui y avait donné lieu.

Quelquefois l'animal était étranglé avant d'être mis sur le bûcher, faveur
que n'obtenait pas le principal accusé[31].
Un jurisconsulte fort renommé, Damhoudère, qui fut conseiller de
Charles-Quint dans les Pays-Bas et qui publia vers le milieu du
seizième siècle un traité sur le droit criminel[32], y soutenait encore
que dans les circonstances dont il est question l'animal, bien que dénué
de raison et n'étant pas coupable, devait cependant être condamné à la
peine du feu, parce qu'il avait été l'instrument du crime[33].
Il paraît que cette pratique fut modifiée au dix-huitième siècle, car dans
un arrêt rendu par le parlement de Paris, le 12 octobre 1741, on
remarque que le coupable seul fut condamné au feu. L'animal fut tué et
jeté dans une fosse recouverte ensuite de terre[34].
Avant de passer à un autre ordre d'idées, nous devons citer le fait
suivant, qui est rapporté en ces termes dans le Conservateur suisse:
«La superstition, dit l'auteur de ce recueil, persuadait jadis au peuple
que les coqs faisaient des oeufs et que de ces oeufs maudits sortait un
serpent et même un basilic. Gross raconte dans sa Petite chronique de
Bâle qu'au mois d'août 1474 un coq de cette ville fut accusé d'un pareil
méfait, et qu'ayant été dûment atteint et convaincu, il fut condamné à
mort; la justice le livra au bourreau et celui-ci le brûla publiquement
avec son oeuf au lieu dit Kohlenberger, au milieu d'un grand concours
de bourgeois et de paysans rassemblés pour voir cette bizarre
exécution[35].»
Cette condamnation se rattache évidemment aux procès de sorcellerie,
qui furent si multipliés pendant le quinzième et le seizième siècle. En
effet on reprochait aux sorciers qui voulaient se mettre en rapport avec
Satan d'employer dans leurs pratiques, entre autres moyens d'évocation,
les oeufs de coq, sans doute parce que ces oeufs étaient réputés
renfermer un serpent et que ces reptiles plaisent infiniment au diable. Il
ne doit donc pas sembler étonnant que dans un temps où la superstition
outrageait à la fois la religion, la raison et les lois, un malheureux coq
fût condamné au feu avec l'oeuf qu'il était réputé avoir pondu, puisque
cet oeuf, dans l'esprit même des juges, était considéré comme un objet

de terreur légitime, comme une production du démon[36].
Occupons-nous maintenant des procès intentés pendant le moyen âge
contre les insectes et autres animaux nuisibles aux productions du sol,
tels que mouches, chenilles, vers, charençons, limaces, rats, taupes et
mulots.
Souvent les récoltes sont dévorées par des quantités innombrables
d'insectes qui font invasion sur le territoire d'un canton, d'une
commune.
Au moyen âge l'histoire mentionne fréquemment des calamités de ce
genre. Ces fléaux produisaient d'autant plus de ravages, que la science
agronomique, presque dans l'enfance à cette époque, offrait moins de
moyens pour combattre ces désastreuses invasions.
Afin de conjurer ces maux sans remèdes humains, les populations
désolées s'adressaient aux ministres de la religion. L'Église écoutait
leurs plaintes; leur accordant sa sainte intervention, elle fulminait
l'anathème contre ces ennemis de l'homme, qu'elle considérait comme
envoyés par le démon.
Alors l'affaire était portée devant le tribunal ecclésiastique, et elle y
prenait le caractère d'un véritable procès, ayant d'un côté pour
demandeurs les paroissiens de la localité, et de l'autre pour défendeurs
les insectes qui dévastaient la contrée. L'official, c'est-à-dire le juge
ecclésiastique, décidait la contestation. On suivait avec soin dans la
poursuite du procès toutes les formes des actions intentées en justice.
Pour donner une idée exacte de ce genre de procédure et de
l'importance qu'on attachait à en observer les formes, nous extrairons
quelques détails d'une consultation qui fut faite sur cette
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