bourreau, on voulait sans doute, d'après les
moeurs du temps, que ses mains sortissent pures de l'exécution d'une
bête brute.
Un compte de 1479, de la municipalité d'Abbeville, nous apprend qu'un
pourceau également condamné pour meurtre d'un enfant fut conduit au
supplice dans une charrette; que les sergents à masse l'escortèrent
jusqu'à la potence, et que le bourreau reçut soixante sous pour sa
peine[21].
Pour une semblable exécution faite en 1435 à Tronchères, village de
Bourgogne, le carnacier (le bourreau) reçut également une somme de
soixante sous[22].
Les formalités étaient si bien observées dans ces sortes de procédures,
que l'on trouve au dossier de l'affaire du 18 avril 1499, ci-dessus
mentionnée, jusqu'au procès-verbal de la signification faite au pourceau
dans la prison où l'on déposait les condamnés avant d'être conduits au
lieu d'exécution.
On procédait aussi par les mêmes voies judiciaires contre les taureaux
coupables de meurtres. Dans la poursuite on observait des formalités
identiques avec celles que nous venons d'indiquer.
En effet, écoutons l'auteur de l'Histoire du duché de Valois, qui
rapporte[23] le fait suivant:
«Un fermier de village de Moisy laissa échapper un taureau indompté.
Ce taureau ayant rencontré un homme, le perça de ses cornes; l'homme
ne survécut que quelques heures à ses blessures. Charles, comte de
Valois, ayant appris cet accident au château de Crépy, donna ordre
d'appréhender le taureau et de lui faire son procès. On se saisit de la
bête meurtrière. Les officiers du comte de Valois se transportèrent sur
les lieux pour faire les informations requises; et sur la déposition des
témoins ils constatèrent la vérité et la nature du délit. Le taureau fut
condamné à être pendu. L'exécution de ce jugement se fit aux fourches
patibulaires de Moisy-le-Temple. La mort d'une bête expia ainsi celle
d'un homme.
«Ce supplice ne termina pas la scène. Il y eut appel de la sentence des
officiers du comte, comme juges incompétents, au parlement de la
Chandeleur de 1314. Cet appel fut dressé au nom du procureur de
l'hôpital de la ville de Moisy. Le procureur général de l'ordre intervint.
Le parlement reçut plaignant le procureur de l'hôpital en cas de saisine
et de nouvelleté, contre les entreprises des officiers du comte de Valois.
Le jugement du taureau mis à mort fut trouvé fort équitable; mais il fut
décidé que le comte de Valois n'avait aucun droit de justice sur le
territoire de Moisy, et que les officiers n'auraient pas dû y
instrumenter[24].»
Cette condamnation n'est pas la seule de cette espèce. En 1499 un
jugement du bailliage de l'abbaye de Beaupré, ordre de Cîteaux, près
Beauvais, rendu sur requête et information, condamna à la potence
jusqu'à mort inclusivement un taureau «pour avoir par furiosité occis un
joine fils de quatorze à quinze ans,» dans la seigneurie du Cauroy, qui
dépendait de cette abbaye[25].
Les chevaux étaient aussi poursuivis criminellement à raison des
homicides qu'ils avaient commis. Les registres de Dijon constatent
qu'en 1389 un cheval, sur l'information faite par les échevins de
Montbar, fut condamné à mort pour avoir occis un homme[26].
Dès le treizième siècle Philippe de Beaumanoir, dans ses Coutumes du
Beauvoisis, n'avait pas craint de signaler en termes énergiques
l'absurdité de ces procédures dirigées contre les animaux à raison des
homicides qu'ils avaient commis. «Ceux, disait-il, qui ont droit de
justice sur leurs terres font poursuivre devant les tribunaux les animaux
qui commettent des meurtres; par exemple lorsqu'une truie tue un
enfant, on la pend et on la traîne; il en est de même à l'égard des autres
animaux. Mais ce n'est pas ainsi que l'on doit agir, car les bêtes brutes
n'ont la connaissance ni du bien ni du mal; et sur ce point c'est justice
perdue: car la justice doit être établie pour la vangeance du crime et
pour que celui qui l'a commis sache et comprenne quelle peine il a
méritée. Or le discernement est une faculté qui manque aux bêtes brutes.
Aussi est-il dans l'erreur celui qui, en matière judiciaire, condamne à la
peine de mort une bête brute pour le méfait dont elle s'est rendue
coupable; mais que ceci indique au juge qu'elle est en pareille
circonstance l'étendue de ses droits et de ses devoirs[27].»
Cependant les critiques du célèbre jurisconsulte ne furent point
écoutées, et ce mode de poursuites continua à être suivi dans tous les
procès de cette espèce, qui devinrent si nombreux du quatorzième au
seizième siècle.
En effet, aux époques dont nous parlons, la jurisprudence, se basant
d'ailleurs sur l'autorité des livres saints[28], avait adopté l'usage
d'infliger aux animaux des peines proportionnées aux délits dont ils
étaient convaincus[29].
On pensait que le supplice du gibet appliqué à une bête coupable d'un
meurtre imprimait toujours l'horreur du crime, et que le propriétaire de
l'animal ainsi condamné était suffisamment puni par la perte même
qu'il faisait de
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