Corysandre | Page 6

Hector Malot
Corysandre, les oreilles encore chaudes des compliments de la
comtesse, il envoyait à son journal une correspondance consacrée à la
gloire des Barizel.

III
Une maison hospitalière: comme l'était celle de madame de Barizel
devait s'ouvrir facilement pour le prince Savine.
En relations avec Dayelle depuis longtemps, Savine n'eut qu'à attendre

une visite de celui-ci à Bade pour se faire présenter à la comtesse, et
bientôt on le vit partout aux côtés de la belle Corysandre.
Ce ne fut qu'un cri:
--Le prince Savine va épouser mademoiselle de Barizel.
C'était ce que Savine voulait. On parlait de lui, on s'occupait de lui,
lorsqu'il paraissait quelque part, il avait la satisfaction enivrante pour sa
vanité de voir qu'il faisait sensation; il était revenu à ses beaux jours,
Otchakoff serait éclipsé.
Pensez-donc, un mariage entre le riche Savine et la belle Corysandre,
quel inépuisable sujet de conversation!
Il levait les yeux dans un mouvement d'extase, mais il ne répondait pas.
Cette femme adorable serait-elle la sienne? Serait-il ce mari
bienheureux?
Cela ne faisait pas de doute pour aucun de ceux qui avaient assisté à ces
explosions d'enthousiasme, et cependant personne ne pouvait dire que
Savine s'était nettement et formellement prononcé à ce sujet.
Il voulut davantage, mais, sans s'engager, sans qu'un jour madame de
Barizel ou même tout simplement le premier venu pussent s'appuyer
sur un fait positif et précis pour soutenir qu'il avait voulu être le mari de
Corysandre, car il avait une peur effroyable des responsabilités, quelles
qu'elles fussent.
Si ordinairement et en tout ce qui ne lui était pas personnel, il n'avait
que peu d'imagination, il se montrait au contraire fort ingénieux et très
fertile en ressources, en inventions, en combinaisons pour tout ce qui
s'appliquait immédiatement à ses intérêts ou devait les servir.
Ce qu'il trouva ce fut une fête de nuit en pleine forêt, avec bal et souper,
organisée en l'honneur de Corysandre. En choisissant un endroit
pittoresque qui ne fût pas trop éloigné de Bade, de façon qu'on pût y
arriver facilement, il était sûr à l'avance de voir ses invitations
recherchées avec empressement. Sans doute la dépense qu'entraînerait
cette fête serait grosse, et c'était là pour lui une considération à peser;
mais, tout compte fait, elle ne lui coûterait pas plus qu'une séance
malheureuse, comme celles qu'il avait eues en ces derniers temps à la
table de trente-et-quarante, et l'effet produit ne pouvait pas manquer
d'être considérable et retentissant. D'ailleurs il n'était pas dans son
intention de prodiguer ses invitations: plus elles seraient rares, plus
elles seraient précieuses, et les malheureux qu'il ferait parleraient de lui

autant que les heureux,--ce qu'il voulait.
Après avoir soigneusement étudié les environs de Bade, l'emplacement
qu'il adopta fut un petit plateau boisé situé entre le vieux château et
l'entassement de roches sillonnées de crevasses qu'on appelle les
Rochers; il y avait là une clairière entourée de superbes sapins au tronc
et aux rameaux, recouverts d'une mousse blanche, qui pendait çà et là
en longs fils, et dont le sol était à peu près uni, c'est-à-dire tout à fait à
souhait pour qu'on y pût danser et pour qu'on y dressât les tentes sous
lesquelles on servirait les tables du souper.
En moins de huit jours, tout fut organisé et Savine eut la satisfaction de
se voir poursuivi et assiégé de demandes d'invitations.
Quel chagrin, quel désespoir pour lui de refuser; mais le nombre des
invités avait été fixé à cent par suite de l'impossibilité de dresser sur ce
terrain tourmenté des tentes assez grandes pour recevoir autant de
convives qu'il aurait désiré. Ce désespoir avait été tel qu'il s'était décidé
à porter le nombre de cent, à cent cinquante; puis, devant les instances
dont il avait été accablé, et pour ne peiner personne, de cent cinquante à
deux cents.
Mais s'il se donna le plaisir pour lui très doux de refuser de hauts
personnages qui ne pouvaient pas le servir, par contre il n'eut garde de
ne pas s'assurer la présence des journalistes qui se trouvaient en ce
moment à Bade.
En réalité c'était pour eux que la fête était donnée.
Aussi ce fut entre eux et Corysandre que pendant cette fête il se
partagea, n'ayant d'attentions et de gracieusetés que pour elle et pour
eux; pour tous ses autres invités, affectant une morgue hautaine.
Mais tandis qu'avec Corysandre il affichait l'empressement, l'entourant,
l'enveloppant, ne la quittant presque pas, de façon à bien marquer
l'admiration et l'enthousiasme qu'elle lui inspirait, avec les journalistes,
au contraire, il se tenait sur la réserve et c'était seulement quand il
croyait n'être pas vu ou entendu qu'il leur témoignait sa bienveillance,
prenant toutes les précautions pour qu'on ne pût pas supposer qu'il était
en relations suivies avec ces gens-là.
--Comment trouvez-vous cette petite fête?
--Admirable.
--Vous en direz quelques mots?
--C'est-à-dire que je lui
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