votre secrétaire, et recommandez-lui de m'adresser, tous les quinze jours, deux lignes en
forme de bulletin, qui me tirent d'inquiétude sur votre santé, et sur Mme de
Chateaubriand!
Cependant, monsieur, si vous ne jugez pas à propos d'accorder un soin si obligeant à une
personne qui vous est étrangère, et qui probablement ne vous verra jamais, je vous prie au
moins de juger ma lettre d'après les circonstances qui me sont personnelles et non d'après
les règles générales de la bienséance! Je ne crois cependant pas les enfreindre aujourd'hui;
il me paraît simple de vous demander de vos nouvelles, et juste que vous m'en fassiez
donner, car j'ai passé beaucoup d'années, je ne dis pas à vous admirer (l'admiration ne me
donnerait aucun droit particulier auprès de vous), mais à vous chérir avec une attention
que rien n'a pu détourner. D'ailleurs qui peut mieux que vous justifier une exception, et
combien de fois ne devez-vous pas avoir reçu des marques d'attachement de personnes
auxquelles le sort, ainsi qu'à moi, a refusé le bien de vous connaître et d'obtenir votre
affection?
Recevez donc avec bienveillance l'assurance du profond attachement que je vous ai voué
pour toujours, et celle des voeux que je ne cesse de former pour votre bonheur.
j'ai l'honneur d'être avec un tendre respect, monsieur le vicomte, votre très humble
servante.
La marquise de V... née d'H.
H., 13 novembre 1827, près La Voulte en Vivarais.
II
_De M. de Chateaubriand_
Paris, 24 novembre 1827.
Madame la Marquise,
J'espère que vous n'avez pas cru sérieusement que je laisserais à mon secrétaire l'honneur
de vous répondre. Votre lettre, madame, m'a pénétré de reconnaissance; j'accepte
cordialement votre amitié _étrangère_, elle remplacera celle de tant de vieux amis qui ont
fui avec la fortune. Je vais donc sur-le-champ vous donner les ennuis de l'intimité. Mme
de Chateaubriand est un peu moins souffrante, ma santé est aussi un peu meilleure. Tout
cela est à charge de revanche, madame la marquise: vous allez être obligée de me dire ce
que vous faites, comment vous vous portez, ce que vous pensez? Mais ne sais-je pas
d'avance ce que doit être l'amie de M. Hyde de Neuville? Réjouissez-vous, madame: le
voilà nommé dans la Mayenne. Il viendra nous aider à débarrasser la France des seuls
ennemis qui restent au roi, les ministres.
Je voudrais bien, madame, que mon écriture ressemblât à la vôtre; mais voilà déjà un des
inconvénients de mon amitié: votre écriture est toute jeune, la mienne est vieille comme
moi[4]. Il vous faudra beaucoup de temps pour apprendre à la lire. Je suis presque tenté
de désirer de n'être jamais connu de vous; j'aime trop vos illusions, madame, pour n'avoir
pas peur de les dissiper par ma présence. Si vous m'écrivez, de grâce ne me parlez plus de
respect! C'est moi, madame, qui mets le mien à vos pieds, avec les tendres hommages
que vous me permettez de vous offrir.
CHATEAUBRIAND.
[Note 4: «Je parle souvent de ma tête grise: calcul de mon amour propre, afin qu'on
s'écrie en me voyant: _Ah! il n'est pas si vieux!..._ Ma petite ruse m'a réussi
quelquefois.» (_Mémoires d'Outre-Tombe_, IVe partie, livre V.)]
III
_À M. de Chateaubriand_
H., 28 novembre 1827.
Monsieur le Vicomte,
Je vous remercie mille fois de m'avoir appris que Mme de Chateaubriand est mieux
portante et que vous êtes vous-même plus content de votre santé.
Je dois marquer le jour où j'ai reçu votre lettre avec une pierre blanche. Je n'ose pas vous
dire combien le nombre de ces jours est petit, parmi celui des miens.
Lorsque, dans le premier moment d'alarme où me jeta la nouvelle de votre chagrin et de
l'altération de votre santé, je vous écrivis pour vous offrir l'hommage du profond intérêt
que j'y prenais et pour vous prier de me faire donner de vos nouvelles et de celles de
Mme de Chateaubriand, je crus faire une chose juste et simple. Cependant, la crainte que
ma lettre vous parût peu convenable traversa mon esprit, au moment même où j'écrivais.
La réflexion fortifia cette crainte, et l'élection de M. Hyde de Neuville ne put m'en
distraire; votre pensée ne me quittait pas. Je faisais et refaisais souvent, intérieurement, la
réponse que j'espérais recevoir de vous, d'abord telle que je la désirais, ensuite telle qu'il
était probable qu'elle serait, et plus tard telle que je la craignais. Enfin j'avais fini par me
résigner à n'en point avoir du tout. Je me souvenais que ma lettre s'était trouvée plus
affectueuse que je n'avais d'abord compté la faire. Dès lors, vous n'étiez pas homme à
l'abandonner à un secrétaire; cependant, en y pensant bien, je ne pouvais supposer qu'un
nom qui vous était inconnu obtiendrait de vous des égards de sentiment jusqu'à vous faire
sacrifier une partie de votre temps et entrer
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