Correspondance de Chateaubriand avec la marquise de V... | Page 5

Francois-René de Chateaubriand et Marie-Louise de Vichet
suis née, et que je ne
connais personne en Bretagne, d'où ces lettres ont été écrites.
Une seconde lecture de mon petit manuscrit me fit naître un doute qui changea mon
projet.
Plusieurs passages de ces lettres dans lesquels se trouve votre nom me firent imaginer que
la dame qui les avait écrites pouvait être votre parente.
Cette pensée me rendit le manuscrit bien plus précieux, et, quoiqu'il n'y eût point
d'apparence que j'eusse jamais l'honneur de vous voir, je résolus de n'en disposer qu'après
m'être assurée qu'il n'avait point d'intérêt pour vous.
J'aurai donc l'avantage de vous le remettre, si vous désirez le lire. Mais, pour ne pas vous
obliger à cette lecture inutilement, voici quelques mots qui vous en dispenseront
peut-être:
L'auteur de ces lettres se nommait Mme la marquise de P.... (le nom est en abrégé dans le
cahier), elle habitait Auray, et deux terres dont l'une se nommait Le Lardais, et l'autre
Lannouan. Elle avait passé ses premières années à _Châteaubriand_, et était nièce de M.
de La Chalotais.
Si à ces renseignements vous reconnaissez en effet, monsieur le vicomte, une personne
dont le souvenir vous soit cher, je serai bien heureuse de pouvoir vous en offrir cet
intéressant vestige.
Vous le recevrez comme un gage des sentiments de respect et de reconnaissance que je
vous ai voués avec tous les vrais Français. Veuillez bien en agréer suis partie
sur-le-champ pour aller la chercher. Pardonnez-moi, Monsieur le vicomte, de ne vous
avoir pas écrit pour vous prévenir de mon absence! Cette bonne pensée ne m'est pas
venue, je suis partie en toute hâte, et préoccupée d'inquiétude et de regret.
Ce soir, à mon retour, j'ai trouvé votre carte. Je conclus de votre billet et de votre visite
que mon manuscrit vous intéresse, en effet, et je me réjouis de tout mon coeur de pouvoir
vous en faire l'hommage. Tous les Français vous offrent celui de leur reconnaissance
pour les bons sentiments et les douces émotions qu'ils vous doivent. Ceux que vous avez
consolés dans leurs peines peuvent vous en vouer une plus spéciale encore.
Votre temps est trop précieux, monsieur le vicomte, pour que j'ose vous demander une

seconde visite. Si vous me la destiniez, je voudrais en savoir le moment? Mais je me
bornerai à vous envoyer le manuscrit; s'il vous intéresse, vous le garderez tout à fait. S'il
vous est étranger, ne vous donnez pas la peine de me le renvoyer, je l'enverrai chercher
chez vous avant mon départ.
Agréez...

_De M. de Chateaubriand_, Paris, mardi 19 mars 1816.
Selon toutes les apparences, madame, le manuscrit n'intéresse personne de ma famille.
Mais j'ai à vous remercier de votre politesse. Puisque vous voulez bien me le permettre,
madame, et me laisser le choix du jour, j'aurai l'honneur de passer chez vous, samedi 29,
à midi.
Agréez, madame, je vous en prie, l'hommage de mon respect.
de CHATEAUBRIAND.
_Note de Mme de V._--Me trouvant suffisamment remerciée, je voulus épargner à M. de
Chateaubriand l'ennui d'une visite sans but, et me punir moi-même d'avoir risqué d'abuser
de sa politesse. Je partis de Paris avant le jour qu'il avait fixé pour notre entrevue.

CORRESPONDANCE DE CHATEAUBRIAND AVEC LA MARQUISE DE V...

I
_À M. le vicomte de Chateaubriand_
Hlle, 14 novembre 1827.
Monsieur le Vicomte,
Depuis que je sais aimer et honorer quelque chose, vous avez tout mon respect et tout
mon attachement; à mesure que votre caractère public s'est développé, ces sentiments se
sont fortifiés dans mon coeur, et ils y ont enfin jeté de si profondes racines que je me
crois quelques droits à votre bienveillance, parce que, depuis bien des années, les
principaux événements de votre vie forment un des plus chers intérêts de la mienne.
Depuis que notre ami commun, M. Hyde de Neuville, est revenu des pays étrangers, il
m'a donné de vos nouvelles de loin en loin. Mais le voilà trop occupé des élections pour
que je puisse en attendre, ni même lui en demander.
Cependant, je viens de lire, dans le _Journal des Débats_ du 9 novembre, la lettre que
vous avez adressée au rédacteur du courrier. Mes yeux se sont mouillés de larmes en y

voyant que «votre santé est altérée par un travail excessif et par les vives inquiétudes que
vous cause une autre sauté qui vous est plus chère que la vôtre!»
En prenant, monsieur, la liberté de vous écrire et de vous dérober quelques minutes d'un
temps toujours si précieux, et dans ce moment si péniblement employé, je serais coupable
d'une indiscrète présomption, si le sentiment qui dicte ma lettre n'était pas de ceux qu'il
est toujours doux et honorable d'inspirer, et d'accueillir. Vous êtes fait pour en être touché,
et j'en suis si persuadée que j'ose vous en demander une preuve. Remettez ma lettre à
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