Correspondance, 1812-1876 - Tome 3 | Page 8

George Sand
ont salué avec assez d'acharnement

une maison qui a nourri et assisté plus de pauvres qu'aucune autre dans l'arrondissement.
Enfin cette démonstration était faite en votre nom. Je ne m'en suis point préoccupée; mais
je me suis réservé le droit de vous en demander l'explication, aussitôt qu'il me serait
possible de vous voir.
Je provoquerai ces explications en vous en donnant sur mon compte, que je défie
personne de démentir, et je veux vous les donner, parce que certainement vous avez cru,
en dirigeant sur Nohant une démonstration hostile, répondre à quelque hostilité de ma
part. S'il en était ainsi, vous seriez peu excusable d'avoir voulu exercer des représailles
avant de vous être assuré de quelque provocation de ma part. Je vous dirai donc très
franchement (en vous annonçant que je vais à Nohant attendre vos bandes dévouées) que
je n'ai jamais, depuis assez longtemps, eu la moindre confiance dans votre conduite
politique.
Ce n'est pas d'hier que nous nous connaissons. Nous avons été intimement liés dans notre
jeunesse, et, à cette époque, vous alliez beaucoup plus loin que moi dans vos idées
révolutionnaires; j'avais alors très peu étudié la Révolution et je n'acceptais point la
guillotine, que, du reste, je n'ai jamais acceptée et n'accepterai jamais. A cette époque
pourtant, vous admiriez sans réserve Robespierre, Couthon et Saint-Just, que j'ai appris
aussi à admirer depuis, sauf l'application excessive et sanglante de leur théorie. Nous
nous sommes chamaillés assez souvent sur ce point pour qu'il m'en souvienne, et, comme
ces discussions finissaient amicalement, mon frère et moi, nous vous appelions le docteur
Guillotin; ce qui ne vous fâchait point.
Depuis, vous êtes entré dans un système de modération dynastique que je n'ai jamais
compris. Nous avions changé tous les deux. J'avais avancé dans mon opinion, vous aviez
reculé dans la vôtre. Mes amis combattaient dans les élections pour vous porter à la
Chambre comme l'expression de leurs idées. Je trouvais qu'ils se trompaient, je le leur
disais; mais je n'essayais point de les arrêter, parce que vous étiez excusé, à mes yeux, de
votre tiédeur politique par le rôle d'homme honnête et charitable.
Votre ferveur républicaine a eu droit de m'étonner après le 24 février; vous avez changé
encore une fois, je le veux bien, et j'admets que vous ayez été sincère, je veux le croire,
d'autant plus que je vous vois, depuis quelques jours, voter avec l'extrême gauche; mais
j'ai été parfaitement fondée jusque-là à ne vous point croire républicain, et je ne me suis
point gênée pour le dire, lorsque l'occasion s'est rencontrée.
Mais, en même temps que j'ai le droit de dire ce que je pense, et de penser ce que je crois
vrai, je ne crois point avoir celui de me mêler à des intrigues et à des manoeuvres
électorales; c'est ce que je n'ai jamais fait, c'est ce que je ne ferai jamais. Mon rôle de
femme s'y oppose, ma conscience me le défend, et, si j'étais homme, je ne me croirais pas
dispensée de porter la même droiture dans ma conduite politique. Si j'ai été accusée d'un
acte quelconque tendant à contrarier votre élection, à noircir votre caractère privé, à
tromper l'opinion sur votre compte, je vous somme de me le faire savoir, parce que je
veux y répondre et ne pas rester sous le coup d'une calomnie.
Voilà pour moi; mais, quant à vous, vous avez à m'expliquer aussi quelle part vous avez
prise à la démonstration faite contre moi par des ouvriers de la Châtre, qui certainement
n'ont point personnellement le plus léger reproche à me faire.--Voici ce dont toutes les
apparences vous accusent:
Vous auriez excité ces ouvriers contre ma maison et contre mon nom, en exploitant la
ridicule terreur que le mot de communisme inspire à ceux qui ne le comprennent pas.

Vous auriez expliqué ainsi le communisme pour exaspérer ces braves gens: «Les
communistes veulent prendre tous vos biens, toutes vos terres, et vous donner six ou huit
sous de salaire par jour. Madame Dudevant est allée à Paris pour se joindre, par ses écrits,
à ceux qui veulent réaliser tout de suite cette belle doctrine, etc., etc.»
Toutes ces accusations sont trop bêtes pour avoir été inventées par vous. Leurs auteurs ne
sont probablement pas dignes d'être recherchés; mais vous exerciez sur les gens de la
Châtre une influence qui, jusque-là, vous avait fait honneur, et vous ne vous en êtes pas
servi pour faire cesser ces bruits ridicules. Vous paraissez les avoir encouragés, au
contraire, et vous avez laissé faire la démonstration sur Nohant. Vous êtes donc
responsable devant l'opinion publique de l'égarement de vos partisans, non seulement en
ce qui me concerne, mais aussi en ce qui concerne les paysans de ma commune, menacés
et violentés dans leur vote. Il serait facile de prouver que, tandis que mon
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