fils, contraire
par opinion à votre élection, écrivait fidèlement votre nom sur tous les bulletins où les
gens de la commune désiraient le voir inscrit, vos partisans arrachaient, à d'autres mains,
d'autres bulletins et y substituaient le leur avec menace et brutalité. Une enquête va être
ouverte à ce sujet, je l'apprends ce soir. Avant d'y porter mon témoignage, si je suis
appelée à le faire, je veux savoir de vous la vérité et me mettre en demeure de vous
accuser ou de vous justifier. J'accepterai une franche explication, si hostile qu'elle puisse
être, et je la préférerai de beaucoup à une petite guerre d'intrigues, pour se disputer une
popularité dont je ne voudrais pas à ce prix, et dont je suis peu jalouse dans les vilaines
conditions où elle est placée.
Je sais que nous nous occupons là d'un très petit fait, et que, sur tout le sol de la France, il
s'en est produit simultanément de semblables, même de beaucoup plus graves en
plusieurs endroits. Mais ceci est une affaire de vous à moi que je tiens à éclaircir et dont
il vous est impossible de me refuser la solution. J'attends donc votre réponse pour savoir
si je puis encore vous conserver mon estime et mon ancienne amitié.
GEORGE SAND.
CCLXXIV
A MAURICE SAND, A NOHANT
Paris, 17 avril 1848.
Mon pauvre Bouli,
J'ai bien dans l'idée que la République a été tuée dans son principe et dans son avenir, du
moins dans son prochain avenir. Aujourd'hui, elle a été souillée par des cris de mort. La
liberté et l'égalité ont été foulées aux pieds avec la fraternité, pendant toute cette journée.
C'est la contre-partie de la manifestation contre les bonnets à poil.
Aujourd'hui, ce n'étaient plus seulement les bonnets à poil, c'était toute la bourgeoisie
armée et habillée; c'était toute la banlieue, cette même féroce banlieue qui criait en 1832:
_Mort aux républicains!_ Aujourd'hui, elle crie: _Vive la république!_ mais: _Mort aux
communistes! Mort à Cabet!_ Et ce cri est sorti de deux cent mille bouches dont les
dix-neuf vingtièmes le répétaient sans savoir ce que c'est que le communisme;
aujourd'hui, Paris s'est conduit comme la Châtre.
Il faut te dire comment tout cela est arrivé; car tu n'y comprendrais rien par les journaux.
Garde pour toi le secret de la chose.
Il y avait trois conspirations, ou plutôt quatre, sur pied depuis huit jours.
D'abord Ledru-Rollin, Louis Blanc, Flocon, Caussidière et Albert voulaient forcer
Marrast, Garnier-Pagès, Carnot, Bethmont, enfin tous les juste-milieu de la République à
se retirer du gouvernement provisoire. Ils auraient gardé Lamartine et Arago, qui sont
mixtes et qui, préférant le pouvoir aux opinions (qu'ils n'ont pas), se seraient joints à eux
et au peuple. Cette conspiration était bien fondée. Les autres nous ramènent à toutes les
institutions de la monarchie, au règne des banquiers, à la misère extrême et à l'abandon
du pauvre, au luxe effréné des riches, enfin à ce système qui fait dépendre l'ouvrier,
comme un esclave, du travail que le maître lui mesure, lui chicane et lui retire à son gré.
Cette conspiration eût donc pu sauver la République, proclamer à l'instant la diminution
des impôts du pauvre, prendre des mesures qui, sans ruiner les fortunes honnêtes, eussent
tiré la France de la crise financière; changer la forme de la loi électorale, qui est mauvaise
et donnera des élections de clocher; enfin, faire tout le bien possible, dans ce moment,
ramener le peuple à la République, dont le bourgeois a réussi déjà à le dégoûter dans
toutes les provinces, et nous procurer une Assemblée nationale qu'on n'aurait pas été
forcé de violenter.
La deuxième conspiration était celle de Marrast, Garnier-Pagès et compagnie, qui
voulaient armer et faire prononcer la bourgeoisie contre le peuple, en conservant le
système de Louis-Philippe, sous le nom de république.
La troisième était, dit-on, celle de Blanqui, Cabet et Raspail, qui voulaient, avec leurs
disciples et leurs amis des clubs jacobins, tenter un coup de main et se mettre à la place
du gouvernement provisoire.
La quatrième était une complication de la première: Louis Blanc, avec Vidal, Albert et
l'_école ouvrière_ du Luxembourg, voulant se faire proclamer dictateur et chasser tout,
excepté lui. Je n'en ai pas la preuve; mais cela me paraît certain maintenant.
Voici comment ont agi les quatre conspirations:
Ledru-Rollin, ne pouvant s'entendre avec Louis Blanc, ou se sentant trahi par lui, n'a rien
fait à propos et n'a eu qu'un rôle effacé.
Marrast et compagnie ont appelé, sous main, à leur aide toute la banlieue et toute la
bourgeoisie armée, sous prétexte que Cabet voulait mettre Paris à feu et à sang, et on l'a si
bien persuadé à tout le monde, que le parti honnête et brave de Ledru-Rollin, qui était
soutenu par Barbès, Caussidière et tous mes amis, est
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