a dans l'occasion. Nous
l'aurons, va, la République, en dépit de tout. Le peuple est debout et diablement beau ici.
Tous les jours et sur tous les points, on plante des arbres de la liberté. J'en ai rencontré
trois hier en diverses rues, des pins immenses portés sur les épaules de cinquante ouvriers.
En tête, le tambour, le drapeau, et des bandes de ces beaux travailleurs de terre, forts,
graves, couronnés de feuillage, la bêche, la pioche ou la cognée sur l'épaule; c'est
magnifique, c'est plus beau que tous les Robert du monde!
[1] Maurice Sand venait d'être nommé maire de la commune de Nohant-Vie. [2] La
Cause du peuple. [3] Le Roi attend. [4] Alors administrateur du Théâtre-Français. [5]
Victor Borie.
CCLXXII
A M. DE LAMARTINE, A PARIS
Paris, avril 1848.
Monsieur,
Je vous comprends bien. Vous ne songez qu'à éviter une révolution, l'effusion du sang,
les violences, un avènement trop prompt de la démocratie aveuglé et encore barbare sous
bien des rapports. Je crois que vous vous exagérez, d'une part, l'état d'enfance de cette
démocratie, et que, de l'autre, vous doutez des rapides et divins progrès que ses
convulsions lui feraient faire. Pourquoi en doutez-vous, vous qui lisez dans le sein de
Dieu et qui voyez combien cette humanité en travail lui est chère! vous qui pouvez juger
des miracles que la Toute-Puissance tient en réserve pour l'intelligence des faibles et des
opprimés, d'après les révélations sublimes qui sont tombées dans votre âme de poète et
d'artiste? Eh quoi! en peu d'années, vous vous êtes élevé dans les plus hautes régions de
la pensée humaine, et, vous faisant jour au sein des ténèbres du catholicisme, vous avez
été emporté par l'esprit de Dieu, assez haut pour crier cet oracle que je répète du matin au
soir:
«Plus il fait clair, mieux on voit Dieu!»
Vous avez emporté, avec les flammes qui jaillissaient de vous, ce milieu de vaine fumée
et de pâles brouillards où la vanité du monde voulait vous retenir; et, maintenant, vous ne
croiriez pas que la volonté divine, qui a accompli ce miracle dans un individu, puisse
faire briller les mêmes éclairs de vérité sur tout un peuple? vous croyez qu'il attendra des
siècles pour réaliser le tableau magique qu'il vous a permis d'entrevoir? Oh non! oh non!
Son règne est plus proche que vous ne pensez, et, s'il est proche, c'est qu'il est légitime,
c'est qu'il est saint, c'est qu'il est marqué au cadran des siècles. Vous vous trompez
d'heure, grand poète, et grand homme! Vous croyez vivre dans ces temps où le devoir de
l'homme de bien et de l'homme de génie sont identiques, et tendent également à retarder
la ruine de sociétés encore bonnes et durables! Vous croyez que la ruine commence,
tandis qu'elle est consommée, et qu'une dernière pierre la retient encore! Voulez-vous
donc être cette dernière pierre, la clef de cette voûte impure, vous qui haïssez les
impuretés dans le fond de votre coeur, et qui reniez le culte de Mammon à la face de la
terre, dans vos élans lyriques?
Si cette société d'hommes d'affaires à laquelle vous vous abaissez s'occupait franchement
de l'émancipation de la famille humaine, je vous admirerais comme un saint, et je dirais
que c'est joindre la douceur de Jésus à son génie, que de manger à la table des centeniers
pour les amener à la vérité. Mais vous savez bien que vous n'amènerez pas de pareils
résultats. Ce miracle de convertir et de toucher les âmes corrompues ou abruties n'est que
dans la main de l'Éternel, et il paraît que ce n'est point par là qu'il veut entamer la
régénération, puisqu'il n'éclaire et n'attendrit aucune de ces âmes; c'est par-dessous qu'il
travaille, et tout le dessus semble devoir être écarté comme une vaine écume. Pourquoi
êtes-vous avec ceux que Dieu ne veut pas éclairer et non avec ceux qu'il éclaire?
pourquoi vous placez-vous entre la bourgeoisie et le prolétariat pour prêcher à l'un la
résignation, c'est-à-dire la continuation de ses maux jusqu'à un nouvel ordre que vos
hommes d'affaires retarderont le plus qu'ils pourront, à l'autre des sacrifices qui
n'aboutiront qu'à de petites concessions, encore seront-elles amenées par la peur plus que
par la persuasion?
Eh! mon Dieu, si la peur seule peut les ébranler et les vaincre, mettez-vous donc avec ces
prolétaires pour menacer; sauf à vous placer en travers le lendemain; pour les empêcher
d'exécuter leurs menaces. Puisqu'il vous faut de l'action, puisque vous êtes une nature
laborieuse, aimant à mettre la main à l'oeuvre, voilà la seule action digne de vous; car les
temps sont mûrs pour cette action, et elle vous surprendra au milieu du calme impartial
où vous vous retranchez, fermant les yeux et les oreilles, devant le flot qui monte et qui
gronde. Mon Dieu, mon Dieu, il
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