mars 1848.
Mon Bouli,
Me voilà déjà occupée comme un homme d'État. J'ai fait deux circulaires
gouvernementales aujourd'hui, une pour le ministère de l'instruction publique, et une pour
le ministère de l'intérieur. Ce qui m'amuse, c'est que tout cela s'adresse aux maires, et que
tu vas recevoir par la voie officielle les instructions de ta _mère_.
Ah! ah! monsieur le maire[1]! vous allez marcher droit, et, pour commencer, vous lirez,
chaque dimanche, un des _Bulletins de la République_ à votre garde nationale réunie.
Quand vous l'aurez lu, vous l'expliquerez, et, quand ce sera fait, vous afficherez ledit
Bulletin à la porte de l'église. Les facteurs ont l'ordre de faire leur rapport contre ceux des
maires qui y manqueront. Ne néglige pas tout cela, et, en lisant ces Bulletins avec
attention, tes devoirs de maire et de citoyen te seront clairement tracés. Il faudra faire de
même pour les circulaires du ministre de l'instruction publique. Je ne sais auquel entendre.
On m'appelle à droite, à gauche. Je ne demande pas mieux.
Pendant ce temps, on imprime mes deux Lettres au Peuple. Je vais faire une revue[2]
avec Viardot, un prologue[3] pour Lockroy[4]. J'ai persuadé à Ledru-Rollin de demander
une Marseillaise à Pauline. Au reste, Rachel chante la vraie Marseillaise tous les soirs
aux Français d'une manière admirable, à ce qu'on dit. J'irai l'entendre demain.
Mon éditeur commence à me payer. Il s'est déjà exécuté de trois mille francs et promet le
reste pour la semaine prochaine; nous nous en tirerons donc, j'espère. Tu entends bien
que je n'ai pas dû demander un sou au gouvernement. Seulement, si je me trouvais dans
la débine, je demanderais un prêt, et je ne serais pas exposée à une catastrophe. Tu
entends bien aussi que ma rédaction dans les actes officiels du gouvernement ne doit pas
être criée sur les toits. Je ne signe pas. Tu dois avoir reçu les six premiers numéros du
_Bulletin de la République_, le septième sera de moi. Je te garderai la collection; ainsi
affiche les tiens, et _fiche_-toi de les voir détruits par la pluie.
Tu verras dans la _Réforme_ d'aujourd'hui mon compte rendu de la fête de Nohant-Vic et
ton nom figurer au milieu. Tout va aussi bien ici que ça va mal chez nous. J'ai prévenu
Ledru-Rollin de ce qui se passait à la Châtre. Il va y envoyer un représentant spécial.
Garde ça pour toi encore. J'ai fait connaissance avec Jean Reynaud, avec Barbès, avec M.
Boudin, prétendant à la députation de l'Indre; celui-ci m'a paru un républicain assez crâne,
et il est, en effet, ami intime de Ledru-Rollin. Il nous faudra peut-être l'appuyer. Je crois
que les élections seront retardées. Il ne faut pas le dire, et il faut ne pas négliger
l'instruction de tes administrés. Tu as ton bout de devoir à remplir, chacun doit s'y mettre,
même Lambert, qui doit prêcher la république sur tous les tons aux habitants de Nohant.
Je suis toujours dans ta cambuse, et j'y resterai peut-être. C'est une économie, et le
gouvernement provisoire vient m'y trouver tout de même. Solange m'écrit qu'elle va très
bien et qu'elle part pour Paris. Clésinger fera peu à peu ses affaires. La République lui
reconnaît du talent et l'emploiera quand elle aura de l'argent.
Rothschild fait aujourd'hui de beaux sentiments sur la République. Il est gardé à vue par
le gouvernement provisoire, qui ne veut pas qu'il se sauve avec son argent, et qui lui
mettrait de la mobile à ses trousses. Encore motus là-dessus. Il se passe les plus drôles de
choses.
Le gouvernement et le peuple s'attendent à de mauvais députés et ils sont d'accord pour
les ficher par les fenêtres. Tu viendras, nous irons, et nous rirons. On est aussi crâne ici
qu'on est lâche chez nous. On joue le tout pour le tout; mais la partie est belle. Bonsoir,
mon Bouli; je t'embrasse mille fois.
Le Pôtu[5] va tous les soirs à un club de Corréziens. Il n'y a ni hommes ni femmes, ils
sont tous Limougis. On n'y parle que le patois. Cha doit être _chuperbe!_
Il va partir pour chon beau pays, aussitôt que je serai enrayée. Il _ch'embête_ beaucoup,
parce que je le conduis chez les _minichtres, oùche_ qu'il reste jusqu'à une heure du
matin à m'attendre dans les antichambres. Il dit que _ch'est_ un fichou métier. Je crois
bien qu'il chera député et qu'il parlera chur la châtaigne.
Ne manque pas de dire à ta garde nationale qu'il n'est question que d'elle à Paris. Ça la
flattera un peu.
Prends courage, nous allons ferme. Emmanuel a été deux heures au bout des fusils de
brigands qui voulaient le tuer pour ne pas rendre les clefs de la poudrière de Lyon et huit
canons. Il s'en est tiré par son éloquence et son courage; il en
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.