Les poètes peuvent être, comme Lamartine,
de grands citoyens. Les ouvriers ont à nous dire leurs besoins, leurs inspirations.
Écrivez-moi vite qu'on y pense et que vous le voulez. Si j'avais là des amis, je le leur
ferais bien comprendre.
Je repars pour Paris dans quelques jours probablement, pour faire soit un journal, soit
autre chose. Je choisirai le meilleur instrument possible pour accompagner ma chanson.
J'ai le coeur plein et la tête en feu.
Tous mes maux physiques, toutes mes douleurs personnelles sont oubliées. Je vis, je suis
forte, je suis active, je n'ai plus que vingt ans. Je suis revenue ici aider mes amis, dans la
mesure de mes forces, à révolutionner le Berry, qui est bien engourdi. Maurice s'occupe
de révolutionner la commune, chacun fait ce qu'il peut. Ma fille, pendant ce temps-là, est
accouchée heureusement dune fille. Borie sera probablement député par la Corrèze. En
attendant, il m'aidera à organiser mon journal.
Allons, j'espère que nous nous retrouverons tous à Paris, pleins de vie et d'action, prêts à
mourir sur les barricades si la République succombe. Mais non! la République vivra; son
temps est venu. C'est à vous, hommes du peuple, à la défendre jusqu'au dernier soupir.
J'embrasse Désirée, j'embrasse Solange, je vous bénis et je vous aime.
Écrivez-moi ici. On me renverra votre lettre à Paris, si j'y suis.
Montrez ma lettre a vos amis. Cette fois, je vous y autorise et je vous le demande.
CCLXIX
A M. CHARLES DUVERNET, A LA CHÂTRE
Paris, 14 mars 1848.
Borie fait comme toi. On t'a annoncé un charivari et tu l'as bravé. Tu lui annonces une
aubade d'un autre genre et cela lui donne d'autant plus d'envie d'aller la chercher. Mais je
ne suis pas de son avis, je le retiendrai s'il m'est possible.
Braver des criailleries n'est rien du tout, pas plus pour un homme, je pense, que pour une
femme. Mais je trouve que, pour le moment; il n'y a rien à faire, parce que le peuple est
mis hors de cause à la Châtre, que le club devient une question de personnes, et qu'on ne
pourrait prendre le parti du principe sans avoir l'air d'agir pour des noms propres. Bonsoir
mon ami; courage quand même! la République n'est pas perdue parce que la Châtre n'en
veut Pas.
A toi.
GEORGE.
CCLXX
A MAURICE SAND, A NOHANT
Paris, 18 mars 1848.
Cher enfant, J'ai fait un très bon voyage; mais je n'ai trouvé chez toi ni Élisa[1] ni clefs.
On a couru chez trois serruriers pour faire ouvrir la porte: pas de serruriers! Ils étaient
tous aux clubs. De guerre lasse, j'ai été coucher dans un hôtel garni. Ce matin, je suis
chez Pinson[2], d'où je t'écris. Élisa et les clefs sont retrouvées. J'irai ce soir loger chez
toi, en attendant que je m'installe un peu mieux s'il y a lieu. Mais je ne veux pas encore
louer pour un mois, avant de savoir si je pourrai faire quelque chose ici. Je vais aller voir
Pauline[3]. Je viens de faire, en déjeunant, le récit de la fête de Nohant pour la
_Réforme_. Borie en a fait un en déjeunant à Châteauroux, pour le journal de Fleury. Tu
les recevras l'un et l'autre et tu feras bien de les lire dimanche, à haute et intelligible voix,
à tes gardes nationaux. Ça les flattera. Tu développeras ces articles par des conversations
dans les groupes. Tu feras sentir la nécessité de l'impôt pour ce moment de crise. Tu diras
que nous sommes très contents d'en payer la plus grosse part et que ce n'est pas acheter
trop cher les bienfaits de l'avenir. Voilà ton thème, que tu traduiras en berrichon.
Écris-moi, car je me trouve bien seule ici. Adresse-moi tes lettres rue de Condé. Je
t'écrirai plus au long quand j'aurai vu un peu de monde et entamé quelque projet.
Tu as dû recevoir la nomination de ton adjoint. Nous allons nous occuper de l'affaire des
noyers. Ne t'ennuie pas trop. Travaille à prêcher, à républicaniser nos bons paroissiens.
Nous ne manquons pas de vin cette année, tu peux faire rafraîchir ta garde nationale
armée, modérément, dans la cuisine, et, là, pendant une heure, tu peux causer avec eux et
les éclairer beaucoup. Je t'enverrai du _Blaise Bonnin_[4], qui te servira de thème.
Seulement, mets, de l'ordre maintenant dans ces réunions, et, s'il le faut, forme une espèce
de club, d'où seront exclus les flâneurs et les buveurs inutiles, les enfants et les femmes,
qui ne songent qu'à crier et à danser. Pour le moment, c'est tout ce qu'on peut faire.
Je te rebige et je t'aime.
[1] Concierge. [2] Restaurateur, rue de l'Ancienne-Comédie. [3] Pauline Viardot. [4]
_Lettres d'un paysan de la vallée Noire, écrites sous la dictée de Blaise Bonnin_.
CCLXXI
AU MÊME
Paris, 24
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.