haute considération.
GEORGE SAND.
CLV
A M. ALEXIS DUTEIL, A LA CH?TRE
Genève, septembre 1836.
Je passe mon temps fort agréablement à Genève, mon cher ami. Je te raconterai cela en détail, au coin du feu. J'ai à peine le temps de dormir. Mais je veux te dire que j'ai re?u ta lettre et que je te remercie mille fois de t'occuper de ton camarade absent et de ne pas négliger ses affaires, qu'il néglige si bien.
Et la vendange! cher Dyonisius? Songe à la vendange! songe à te faire du vin blanc potable. Ne néglige pas un point aussi important.
Je serai à Nohant dans les premiers jours d'octobre. Je pars d'ici le 30. Je m'arrêterai à Lyon. Je te porte du bon tabac à priser, et force cigarettes.
Adieu, bon vieux; dis à ta femme que je l'aime; aimez-moi, tous deux. A bient?t!
Mes mioches se portent à merveille. Ils supportent la fatigue héro?quement. Ursule n'est pas de même.[1] Elle était très épouvantée l'autre jour de se trouver dans un village appelé Martigny. Elle se croyait à la Martinique et ne se consolait que dans l'espoir d'en rapporter de bon café (historique).
Je suis ici: l'objet de la curiosité publique. Je ne fais pas un pas, je ne dis pas un mot qui n'en fasse faire et dire mille. Néanmoins on en est à la bienveillance pour moi, c'est la mode présentement.
Adieu, et me ama.
[1] Ursule Josse, femme de chambre de George Sand.
CLVI
A MADAME D'AGOULT, A GENèVE
Lyon, le 3 octobre 1836.
Chers enfants,
Je suis à Lyon le bec dans l'eau. Je voulais partir sur-le-champ en recevant cette jolie lettre; mais je n'ai trouvé de places dans les diligences que pour le 3, c'est-à-dire pour aujourd'hui. Cela fait que j'enrage.
Au lieu de passer encore, près de vous, quelques-uns de ces beaux, jours qu'on cherche tant et qu'on attrape si peu, je suis dans la plus bête de toutes les villes du royaume, flanant avec madame Montgolf?er et _un tas de particuliers que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam._ Ils m'ont trimballée à Fourvières. N'y allez jamais! _il est bien pénible_ et il n'est pas _bien joli._ Puis ils m'ont menée au Gymnase, entendre piauler et piailler madame***, qui est, comme vous savez, toute pointue. Hier, ils m'ont assassinée en me faisant entendre _Guillaume Tell_, abominablement écorché et massacré par le plus plat orchestre et les plus, ignobles chanteurs que j'aie jamais entendus.
Cela, au reste, m'a fait du bien, en ce sens que je me suis réconciliée avec les théatres d'Italie, que je méprisais beaucoup trop. Si la seconde ville de France chante si faux et si salement, sans offenser personne, il faut rendre hommage aux villes de cinquième et sixième ordre de l'Italie. On y chante juste, et, si on y a mauvais go?t, on y a du chic, de l'élan et du toupet.
Aujourd'hui, on m'a fait d?ner dans un restaurant très burlesque. On entre dans une cuisine, on monte à talons un escalier plein d'immondices, et on arrive à une petite chambre fort sale, où on vous sert cependant un très bon d?ner. Ce soir, nous sommes rentrés chez madame Montgolf?er, et un monsieur--que vous connaissez, à ce qu'on dit,--m'a chanté, sans aucune espèce de voix, deux ou trois morceaux de Schubert que je ne connaissais pas. J'ai deviné que cela devait être très beau.
La _Montgolfière_ me para?t une excellente femme un peu atteinte par la cancanerie, l'investigation et la curiosité provinciales, brodant un peu, amplifiant pas mal, et jugeant parfois à c?té; du reste, proclamant et pratiquant des sentiments très élevés, et possédant des facultés et des qualités qui n'ont manqué que d'un peu plus de développement. Je la crois très sincèrement zélée pour Franz et très dévouée à vous. Elle est charmante pour moi. Gévaudan, qui m'avait quittée à moitié chemin pour prendre une route plus courte, a reparu tout à coup hier sur mon horizon mélancolique. Il prétend être rappelé à Lyon par sa caisse de cigares, qu'il faut recevoir et payer. _As you like it, all is well that ends well,_ et beaucoup d'autres proverbes shakespeariens qui ne changeront rien à nos positions respectives. Je suis charmée de le voir, il promène mes _Piffoels_[1] pendant que je travaille le matin à notre fameuse relation[2], mais je crois qu'il fait _much ado about nothing._
Bonsoir, mes bons et chers enfants. Aimez-moi seulement la moitié de ce que je vous aime, et ce sera beaucoup. Je n'ai pas le droit de vous en demander davantage. Vous vous occupez tant le coeur et l'esprit l'un et l'autre, qu'il ne reste pas une part de première qualité pour les rustres de mon espèce, gens solitaria et thérapeutique. Mais cela ne m'empêche pas de vous mettre en première ligne dans mes affections, sans me soucier de ?l'équilibre de la vie morale et intellectuelle?.
Fazy[3] m'a envoyé le cachet. Je ne vous
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