Correspondance, 1812-1876 - Tome 2 | Page 7

George Sand
attendre la fin de leurs vacances pour tous aller voir, c'e?t été encore six semaines de retard. Je les emmène donc. Ils sont peu gênants, très dociles, et accompagnés d'ailleurs d'une servante qui vous en débarrassera quand ils vous ennuieront. Si j'ai une chambre, que vous donniez un matelas par terre à Maurice, un même lit pour ma fille et pour moi nous suffiront. A Paris, nous n'en avons pas davantage quand ils sortent tous deux à la fois. La servante couchera à l'auberge.
Quand je voudrai écrire, si l'envie m'en prend (ce dont j'aime à douter), vous me prêterez un coin de votre table. Si toute cette population que je tra?ne à ma suite vous gêne, vous nous mettrez tous à l'auberge, que vous m'indiquerez la plus voisiné de votre domicile. En attendant, vous me direz où est ce domicile, car je ne m'en souviens plus, et j'écris au hasard Grande Rue sur l'adresse, sans savoir pourquoi.
Adieu, mes enfants bien-aimés. Je ne retrouverai mes esprits (si toutefois j'ai des _esprits_), je ne commencerai à croire à mon bonheur qu'auprès de vous.

CLIII
A-M. AUGUSTE MARTINEAU DESCHENEZ. A PARIS
Nohant, 21 ao?t 1836.
Tu sais que mon procès est terminé. Je suis à Nohant en liberté et en sécurité. Je ne te parlerai plus de mes affaires. Les journaux sont là pour raconter ces mortels ennuis que je veux oublier, et sur lesquels il ne m'est pas possible de revenir, même avec mes plus chers amis.
Je comptais aller à Paris chercher Maurice, qui entrait en vacances et serrer la main de mes bons camarades. Mais le tracas de mes affaires en désarroi m'a retenue à Nohant quelques jours de plus que je ne pensais. Pendant ce temps, Maurice est venu me trouver. Maintenant que le voilà hors du triste Paris, il n'a guère envie d'y retourner avant la fin des vacances. Pour le distraire de son année scolaire et de mes angoisses, qu'il a si vivement partagées, je l'emmène, ainsi que Solange, à Genève, où Liszt et une dame fort distinguée, que j'aime beaucoup et qui tient de fort près à mon ami le musicien, nous attendent depuis longtemps.
Nous partons le 28, et nous reviendrons à Paris tous ensemble à la fin du mois. Ne dis à personne que je vais faire ce petit voyage. Un tas d'oisifs viendraient m'y relancer, soit par écrit, soit en personne, et je vais tacher d'oublier la littérature au bord des lacs.
Je te verrai donc au mois d'octobre, mon cher Benjamin, et, si je puis t'enlever, je t'emmènerai passer quelque temps à Nohant. Tu es employé du gouvernement, pauvre enfant! arrange-toi alors pour avoir une bonne maladie de poitrine ou d'estomac (_censé_, comme dit Maurice), afin de prendre l'air de la campagne sous mes vieux noyers et sous l'aile paternelle de ton vieux George.
Donne-moi, en attendant, de tes nouvelles à Genève sous le couvert de Liszt, _Grande Rue_, et aime-moi comme je t'aime.
Adieu.

CLIV
A MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE, A ANGERS
Nohant, 21 ao?t 1836.
Mademoiselle,
Je ne connais qu'une croyance et qu'un refuge: la foi en Dieu et en notre immortalité. Mon secret n'est pas neuf, il n'y a rien autre.
L'amour est une mauvaise chose, ou, tout au moins une tentative dangereuse. La gloire est vide et le mariage est odieux. La maternité a d'ineffables délices; mais, soit par l'amour, soit par le mariage, il faut l'acheter à un prix que je ne conseillerai jamais à personne d'y mettre. Quand je suis loin de mes enfants, dont l'éducation absorbe une grande part du temps, je cherche la solitude et j'y trouve, depuis que j'ai renoncé à beaucoup de choses impossibles, des douceurs que je n'espérais pas.
Je tacherai de les exprimer, sous une forme poétique, dans un de mes ouvrages que j'augmente d'un volume: _Lélia_, que vous avez la bonté de juger avec indulgence et où j'ai mis plus de moi que dans tout autre livre. Puisque vous me croyez en savoir plus long que vous sur la science de la vie, je vous renvoie à la prochaine réimpression de cet ouvrage.
Mais j'ai bien peur que vous ne vous trompiez en m'attribuant le pouvoir de vous guérir. Vous trouverez de vous-même tout ce que j'ai trouvé, et vous le trouverez mieux approprié à vos facultés. Espérez, il y a des temps d'épreuves; mais celui qui nous fait malheureux prend soin de nous alléger le fardeau quand il devient trop lourd. Vous me paraissez être un de ses _vases d'élection_. Vous avez donc à le remercier _d'être_, sauf à savoir de lui, peu à peu, à quoi il vous destine.
Je voudrais être de ceux qui le prient avec ardeur et qui sont s?rs d'être exaucés. Je lui demanderais pour vous le bonheur ou, tout au moins, le calme et la résignation que vous me semblez faite pour comprendre et digne de posséder.
Agréez l'assurance de ma
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