Contes rapides | Page 8

Francois Coppée
Vous saluez le public d'un entrechat, et, tout de suite, d'un seul bond, hop! vous voil�� debout sur la selle en plate-forme. Un fouet claque, l'orchestre lache ses cuivres furieux, le cheval truff�� prend son petit galop m��canique, et, hop! hop! vous voil�� partie!
Quelle olympienne cr��ature vous ��tiez alors, comtesse! Dix-sept ans, et les jambes de la V��nus du Capitole. La force et la grace! Une de ces beaut��s parfaites, comme il ne s'en obtient plus gu��re qu'avec les croisements de sang et les amalgames de races du Nouveau-Monde. Un murmure circulait: ?C'est la belle Adah! l'Am��ricaine!? Et, gris��e par ce vent du triomphe, vous redoubliez vos audacieuses pirouettes.
La premi��re partie de ?l'exercice? finissait toujours dans un long cr��pitement de bravos. Tandis que les ��cuyers montaient sur des tabourets avec les banderoles et les cerceaux, et que le clown, pour amuser la galerie, jetait d'un soufflet son camarade �� plat ventre et le relevait d��licatement par le fond de la culotte, vous faisiez un tour de piste au pas, pos��e sur le bord de la selle avec une l��g��ret�� de papillon. C'��tait la meilleure minute pour vos admirateurs. Vous teniez votre t��te de d��esse droite sous son casque de cheveux noirs enguirland��s de fleurs, et, de la jupe de gaze bouffant autour de vous, vos sublimes jambes en maillot rose ��mergeaient comme d'un nuage.
Ce fut dans un de ces moments de repos que vous remarquates pour la premi��re fois le comte, aujourd'hui votre ��poux, alors un des plus violents viveurs de Paris. Il se tenait debout dans le couloir des ��curies, grand, mince et correct dans sa redingote boutonn��e, un brin de lilas �� la boutonni��re, en chapeau gris, et tapotant ses l��vres avec la pomme d'or de sa badine. Il revint le lendemain, le surlendemain, tous les jours; et vous baissiez les paupi��res, confuse, quand votre regard rencontrait ses yeux ��perdus, ses yeux pales d'homme qui a perdu la t��te.
Il l'avait perdue, en effet; mais vous ��tiez une honn��te fille, tout simplement. A cinq ans, vous deveniez orpheline, votre p��re, l'Homme �� la Perche, s'��tant tu�� net en tombant sur la nuque. Les gens du cirque avaient adopt�� l'enfant de la balle. Le vieux clown parisien Mistigris vous avait appris le fran?ais, puis un peu �� lire et �� ��crire. Apr��s avoir ��t�� l'enfant gat��e,--et respect��e, malgr�� tout,--de ces braves saltimbanques, vous ��tiez devenue une des gloires de leur entreprise. Vous gagniez votre vie, honn��tement, �� montrer vos jambes, mais vous ��tiez sage pour de bon; et,--rappelez-vous,--le soir o�� le comte vous offrit cette parure de turquoises, assez brutalement, il faut bien le dire, vous faill?tes le cravacher en pleine ��curie, devant le box de l'��l��phant.
C'��tait fait pour d��cha?ner un homme �� passions. Le ?Johnson's american Circus? faisait son tour de France. Le comte vous suivit �� Orl��ans, �� Tours, �� Saumur, �� Angers;--et enfin, �� Nantes, il fit la folie compl��te, comme un Russe, et, n'ayant plus ni p��re ni m��re, il vous enleva pour vous ��pouser.
Oh! comme l'orgue de Barbarie pleure lamentablement le vieil air de galop dans le cr��puscule!
Que faire, apr��s les premi��res semaines de la br?lante lune de miel, pass��es dans un village perdu au bord de la mer? On pouffait de rire, l��-bas, au Jockey; et les femmes du monde suffoquaient d'indignation derri��re les ��ventails. Le comte prit le bon parti; il s'expatria pendant plusieurs ann��es. Ah! pauvre comtesse, que vous vous ��tes ennuy��e �� Florence, dans ce noir palais o�� votre mari vous a fait ��lever et instruire comme une petite fille, et o�� vous avez subi tant de le?ons et de professeurs. En femme reconnaissante,--plut?t qu'amoureuse, h��las!--vous vouliez plaire au comte, devenir digne de lui. Mais, naturellement, il fallut du temps; et, tout patient qu'il ��tait, comme votre mari vous a fait souffrir avec ses continuels: ?Cela ne se dit pas... Cela ne se fait pas...? toujours suivis d'un ?ma ch��re? tr��s sec, qui vous suppliciait!
Toutes les femmes sont ��ducables. ?Parvenu? est un mot qui ne se dit pas au f��minin. Au bout de trois ans, vous ��tiez une vraie comtesse. Le comte, qui baillait dans les mus��es et n'avait jamais pu mordre aux Primitifs, n'y tint plus et vous ramena �� Paris. Les volets du vieil h?tel, ferm��s depuis si longtemps, claqu��rent contre la muraille, et vous f?tes votre premier d?ner de retour dans la vaste salle �� manger, devant le grand portrait du haut duquel le bisa?eul du comte, lieutenant-g��n��ral des arm��es du Roi, poudr��, avec le cordon bleu sur son habit rouge, et remarquable surtout par l'immense nez de la famille, semblait vous jeter un regard s��v��re.
Ici encore, c'est pour vous, comtesse, la solitude et la m��lancolie. Votre mari est arriv�� seulement--apr��s combien d'efforts et �� force de jeter de l'argent dans les oeuvres charitables!--�� vous constituer une petite
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