Contes rapides | Page 7

Francois Coppée
vous deviniez on ne sait quel sous-entendu, qui vous faisait �� la fois peur et plaisir!
H��las! un jeune gaillard comme M. Fr��d��ric n'��tait pas fait pour s'attarder dans les bals �� verres d'orgeat. Il s'en alla vers d'autres f��tes; et, sans vous l'avouer �� vous-m��me, vous en f?tes triste, n'est-ce pas? Puis deux, trois, quatre, cinq ann��es s'��coul��rent. Vous ne mettiez plus de robe rose, ��tant devenue un peu pale, et, dans les sauteries bourgeoises o�� le r��pertoire musical ne change gu��re, on jouait toujours la vieille polka qui vous rappelait M. Fr��d��ric.
A la fin, il a fallu voir les choses comme elles ��taient, prendre un parti, et vous avez ��pous�� le timide gar?on qui faisait danser les demoiselles osseuses et frisant la trentaine. Jadis, vous aviez plus d'une fois oubli�� son tour de quadrille, bien qu'il f?t inscrit sur votre petit carnet d'ivoire. Alors il vous faisait un peu piti��, convenez-en, ce bon M. Jules, avec ses cravates blanches trop empes��es et ses gants nettoy��s �� la gomme ��lastique. Vous l'avez ��pous��, pourtant, et c'est, apr��s tout, un travailleur, un brave p��re de famille. Il est maintenant sous-chef, comme feu monsieur votre p��re, et il obtient la m��me note d��courageante: ?Modeste et utile serviteur; �� maintenir dans son service.? Quand vous lui avez donn�� son deuxi��me gar?on, il est venu un peu d'ambition au pauvre homme, et, pour avoir de l'avancement, il a publi�� deux petites brochures sp��ciales; mais on s'est acquitt�� envers lui en le d��corant des palmes acad��miques.
Trois enfants,--deux fils d'abord, et une gamine, venue bien plus tard,--c'est lourd! Heureusement que l'a?n�� est au coll��ge, pourvu d'une demi-bourse. Avec beaucoup d'��conomie, on joint les deux bouts. Mais quelle vie m��diocre et triviale! Le p��re, lui, part d��s le matin, en emportant son d��jeuner--un pain fourr�� et une fiole d'eau rougie--dans les poches de son pardessus; car, avant de s'installer sur son rond de cuir minist��riel, il va faire un cours de g��ographie dans les pensionnats de jeunes filles. Vous, madame, vous n'avez pas le temps de vous ennuyer, et la journ��e est courte pour qui a tant �� faire. Cependant, jamais un plaisir! Depuis un an, vous n'��tes all��e qu'une fois au spectacle, en Septembre dernier, voir le Domino noir, avec des billets de faveur.
Vous ��tes r��sign��e, vaincue, sans doute. Mais ce vieil air de polka que joue toujours l'orgue obstin�� vous fait souvenir que, l'autre soir, poussant comme aujourd'hui devant vous la petite voiture o�� dort votre enfant, et traversant ce m��me boulevard, vous avez failli ��tre ��cras��e par une fringante victoria, et que vous avez reconnu, bien install�� sous les couvertures, le beau M. Fr��d��ric en personne, rest�� le m��me, ayant l'air toujours jeune des gens heureux, qui vous a jet�� un regard dur en criant: ?Maladroit!? �� son cocher.
N'est-ce pas, que cet orgue est insupportable?... Il se tait, heureusement. Et voici que la nuit monte. L��-bas, au bout du triste boulevard de banlieue, sur la fum��e rouge qui succ��de au coucher du soleil, le gaz qu'on allume fait ��clore ses ��toiles bl��mes. Rentrez �� la maison, madame Jules. Votre second fils doit ��tre d��j�� revenu de l'��cole, et, quand vous n'��tes pas l��, il n'apprend jamais sa le?on du lendemain avant le d?ner. Rentrez �� la maison, madame Jules. Votre mari va bient?t revenir de son bureau, plein de fatigue et de faim, et vous savez bien que, sans vous, la petite bonne �� vingt-cinq francs par mois serait incapable de ?raccommoder? avec des pommes de terre et des oignons le reste du boeuf d'hier soir.

II
Que la musique est nostalgique! Comme elle ��voque douloureusement les vieux souvenirs! Et combien lamentable, au fond du cr��puscule de Novembre, le son pleurard de l'orgue de Barbarie qui joue un vieil air de galop!
A quoi songez-vous en l'��coutant, madame la comtesse, et pourquoi restez-vous debout et comme p��trifi��e par la r��verie, pr��s de la haute fen��tre de votre boudoir? Que peut vous rappeler, �� vous, femme heureuse et dans la pleine beaut�� de vos trente ans, l'ancien air de galop jou�� l��-bas, sur le triste boulevard, au del�� des tilleuls d��pouill��s de votre jardin, par l'orgue de Barbarie g��missant et ��vocateur?
Il vous rappelle le vaste amphith��atre du ?Johnson's american Circus?, bond�� de visages attentifs, tel qu'il ��tait �� l'��poque de vos succ��s ��questres. Les deux virtuoses n��gres ont termin�� leur concert comique en se cassant leurs violons sur la t��te, et le palefrenier vient d'amener sur la piste votre cheval de voltige,--vous savez bien, l'��norme et paisible cheval blanc, tachet�� de noir, qui faisait songer �� une dinde crue, gonfl��e de truffes? Vous faites votre entr��e alors, donnant la main au superbe ma?tre de man��ge en habit ��carlate et coiff�� �� la Capoul, dont vous avez ��t�� un peu amoureuse, avouez-le, comme toutes les ��cuy��res de la troupe.
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