Contes rapides | Page 5

Francois Coppée
vigoureux jeune homme, quand la conscription l'avait pris et envoy�� au 75e de ligne.
Les premiers temps au r��giment, dire que c'��taient l�� ses seuls bons souvenirs! Pour la premi��re fois, ce paria, ce souffre-douleurs, avait connu le sentiment de l'��galit��, de la justice. L'uniforme ��tait trop ��pais en ��t��, trop mince en hiver, mais tous les soldats le portaient; le ?rata? de l'ordinaire soulevait le coeur bien souvent, mais les autres le mangeaient comme lui. A la chambr��e, dans un lit tout pr��s du sien, couchait un vicomte qui s'��tait engag�� apr��s quelques fredaines. On se tutoyait entre camarades. Ici--quelle surprise!--un homme valait un homme; et, pour s'��lever au-dessus du niveau, pour sortir du rang, une seule vertu suffisait: l'ob��issance. Il la pratiqua, sans effort. Plus intelligent, moins illettr�� que la plupart des lourdauds �� pantalon rouge, il avait gagn�� au bout de la premi��re ann��e de service ses galons de caporal; au bout de la deuxi��me, sa sardine de sergent. Maintenant, les tourlourous mettaient les premiers la main au k��pi, quand ils le rencontraient dans les rues de la garnison.
Un instant d'ivresse, de folie, avait suffi pour le perdre. Il commen?ait un nouveau cong��; il venait d'��tre nomm�� sergent-major. Un jour qu'il avait dans sa poche l'argent de la compagnie, trois verres d'absinthe, bus coup sur coup, par bravade, et un caprice bestial pour une fille aux yeux m��chants, avaient fait de lui un voleur, un criminel. A partir de l��, tout dans sa vie redevenait horrible. Dans un ��clair de pens��e, il se revoyait, le dos vo?t�� par la honte, devant les ��paulettes et les croix d'honneur du conseil de guerre. Puis c'��taient les interminables ann��es au bataillon d'Afrique, le travail au soleil ardent sur les routes, la fi��vre du silo. Il ��tait sorti de cette fournaise et de cette infamie br?l�� de la soif ��ternelle de l'alcoolique et gangren�� de vice jusqu'au coeur.
Aucune chance non plus; pas une bonne occasion. Son temps fait, il n'avait rencontr�� personne pour lui tendre la perche. Ouvrier par-ci, homme de peine par-l��, il avait couru les chemins, vagabond poursuivi par son pass��. Quand il souffrait trop de la faim, il commettait de petits vols, il ?chapardait?, comme en Alg��rie. La rude poigne de la justice lui ��tait plus d'une fois retomb��e sur l'��paule. O�� ��tait-il donc, il y a deux ans? En prison. Et l'hiver dernier? En prison encore. Et depuis trois jours, dans ce pays inconnu o�� il errait, il n'avait pas trouv�� une journ��e �� faire, en pleine moisson. Et il avait d��pens�� son dernier sou, mang�� sa derni��re cro?te. Que devenir? Que faire?
L'homme, en suivant toujours la grand'route, atteignit un carrefour. Une croix s'y dressait,--une croix de mission,--avec un Christ en bois grossi��rement sculpt��, dont les pluies avaient effac�� la peinture.
Il haussa les ��paules et prit �� gauche.
Deux cents pas plus loin, il vit une belle et blanche maison de campagne, s��par��e de la route par une pelouse et un large saut-de-loup. Une jeune femme, en peignoir bleu, s'abritant d'une ombrelle, parut sur le perron et appela un petit gar?on qui jouait dans l'herbe avec un gros terre-neuve:
?B��b��! b��b��!?.
L'enfant courut vers sa m��re, et le chien, soudain furieux, vint en trois bonds jusqu'au saut-de-loup, et aboya longuement apr��s le sinistre voyageur.
Il montra le poing �� cette maison de riches, o�� les fleurs matinales semblaient exhaler du bonheur, et, pris d'un besoin farouche de solitude, il se jeta dans un sentier, �� travers la campagne.
C'��tait ainsi qu'il se trouvait dans cette grande plaine, au milieu des hauts ��pis, les jambes cass��es de fatigue, le grondement de la faim dans les entrailles, seul, perdu, d��sesp��r��.
Tout �� coup, un coq lan?a sa claire fanfare. Une maison ��tait proche. L'homme avait trop faim. Tant pis! Il irait l�� pour mendier, pour voler, pour tuer, s'il le fallait. Il fit tournoyer son gourdin, hata le pas, et, au bout du sentier, qui tournait brusquement, se trouva devant une petite m��tairie. Hardiment, il traversa la cour en effarant la volaille, se dirigea vers la maison, tr��s basse et couverte en chaume, et mit la main au bouton de la porte vitr��e, qui r��sista.
--?Hol��!? cria-t-il de toute sa force;--et, �� quelques secondes d'intervalle, il r��p��ta par trois fois: ?Hol��!?
Pas de r��ponse. Les gens du logis ��taient all��s, sans doute, travailler aux champs.
Le vagabond enveloppa sa main droite dans son vieux chapeau de feutre pourri, enfon?a un carreau d'un coup de poing, tata la serrure, qui s'ouvrait en dedans et n'��tait point ferm��e �� clef, poussa la porte et entra dans la maison.
Il se trouvait dans une salle basse, ��videmment la seule habit��e du logis. Il y avait l�� le lit, la chemin��e, la huche, le dressoir, la table, o�� tra?naient une miche de pain, un couteau de cuisine et un paquet de tabac ��ventr��; enfin,
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