Contes rapides | Page 4

Francois Coppée
rude moustache jaune qui traverse sa face boucan��e grisonne d��j��. En tout cas, il n'a pas honte de sa mis��re. Il a cranement camp�� en arri��re son vieux feutre rong�� par le soleil; dans son visage couleur de cuir ses durs yeux bleus ��tincellent d'audace; et il va pieds nus pour m��nager sans doute la paire de gros souliers �� clous boucl��e sur son sac de soldat. Le pas ferme et la t��te haute, ayant dans toute sa personne on ne sait quoi d'effront�� et de militaire, l'homme suit un sentier tr��s ��troit entre deux grandes pi��ces de bl��, et les hauts ��pis lui viennent presque jusqu'�� l'��paule.
Il ne sait pas o�� ce chemin le conduit.
Autour de lui, la plaine s'��tend �� perte de vue, d��serte, immobile dans la grosse chaleur de Juin.
A sa droite, des bl��s, des seigles, des avoines; �� sa gauche, des avoines, des seigles, des bl��s. L��-bas, seulement, un long rideau de peupliers, vers lequel vole un corbeau; et plus loin, beaucoup plus loin, les collines bois��es, d'un bleu tendre dans la brume grise de l'horizon.
L'homme suit le sentier monotone. Ici, la moisson foisonne de bleuets; l��, de coquelicots. Tout pr��s de lui, un grillon crie plus fort que les autres, comme exasp��r��. L'homme s'arr��te; le grillon se tait. Pas un nuage au ciel, o�� triomphe le soleil blanc de l'apr��s-midi. Le vagabond essuie alors son front couvert de sueur avec sa manche, et, levant la t��te d'un geste brusque, il jette un regard sombre au ciel pur.
La veille, dans le gros bourg rural o�� il est arriv�� vers le soir, il s'est pr��sent�� �� toutes les portes, le feutre �� demi soulev��, et il a demand�� d'une voix rauque et humble:
?Est-ce qu'il y a une journ��e �� faire, ici??
Partout on lui a r��pondu, apr��s un regard du haut en bas, dans lequel se voyait la m��fiance du paysan ou l'effroi de la m��nag��re:
?Non... Nous n'avons besoin de personne.?
Il lui restait trois sous. Il a achet�� un morceau de pain, et, tout en mangeant, il a continu�� son chemin, du c?t�� du cr��puscule.
Un ruisseau d'eau vive coulait au bord de la route. Il s'est mis �� plat ventre et il a bu �� m��me.
Puis, quand la nuit fut venue,--une nuit de Juin, o�� palpitaient de larges ��toiles,--il a saut�� une haie, s'est install�� dans un champ, avec son sac pour oreiller, et, comme il ��tait harass�� de fatigue, il a dormi jusqu'au lever du soleil.
Ce qui lui manquait le plus, depuis trois jours qu'il ��tait si mis��rable, c'��tait son tabac.
Il s'��veilla dans l'herbe humide, le corps tout engourdi, se leva avec peine, frissonna sous ses haillons et murmura sourdement: ?Nom de Dieu!?
Puis il se remit en marche sur la grand'route,--l'ancien ?pav�� du Roi?,--qui traversait une for��t.
La matin��e ��tait d��licieuse. Une fra?cheur embaum��e sortait des profondeurs vertes. Sur les bords de la route, l'herbe des vaines patures, tellement p��n��tr��e de ros��e qu'elle semblait pale, ��tait cribl��e de petites fleurs des bois, blanc de lait, rose gris, lilas clair, toutes si pures! L��-haut, �� la cime des grands arbres, le soleil levant lan?ait dans les feuilles ses premi��res fus��es d'��tincelles. A vingt pas, devant le voyageur, deux joyeux lapins, la queue en trompette, montrant leur blanc derri��re, travers��rent la route en quelques bonds et disparurent dans le fourr��. Les oiseaux chantaient ��perdument.
Le vagabond, lui, songeait �� son horrible pass��.
Enfant de l'hospice, ��lev�� chez une nourrice s��che, �� la campagne, il ne se rappelait gu��re de sa premi��re enfance que ses tremblements de terreur devant la vieille femme, la main toujours lev��e pour un soufflet. Pourtant, il avait grandi quand m��me, gar?onnet robuste, en glanant, en ramassant du bois mort avec elle. Elle faisait peur �� tout le monde, passait pour une jeteuse de sorts, croyait elle-m��me l'��tre un peu, avait d'��tranges superstitions; et, quand elle trouvait dans son poulailler un oeuf moins blanc que les autres, elle l'��crasait sous son sabot, persuad��e qu'il contenait un serpent. Elle laissa l'enfant aller �� l'��cole, o�� il apprit �� lire, �� ��crire, �� compter. Mais ses camarades, petits paysans aux joues rouges, pleins de soupe et de m��chancet��, l'appelaient batard, fils de sorci��re. D��test�� d'eux, il les d��testa, et ce furent cent batteries, o�� il ��tait, heureusement pour lui, presque toujours le plus fort.
A quatorze ans,--sa vieille nourrice venait de mourir,--il n'aurait pas trouv�� �� s'employer dans le village, sans le voiturier qui venait d'entreprendre la correspondance du chemin de fer et qui avait besoin d'un galopin pour l'��curie. Il eut trois francs de gages par mois, la nourriture d'un chien, et coucha dans la paille. Ha? des gar?ons de l'endroit, moqu�� des filles, passant pour idiot parce qu'il ��tait farouche, et n'��tant jamais all�� �� la ville, situ��e �� trois lieues de l��, il ��tait ainsi devenu un grand et
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 53
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.