Contes merveilleux, Tome I | Page 8

Hans Christian Andersen
de nouveau des choses désagréables.
--Tu crois vraiment?
Ils regrimpèrent sur la table où ils étaient primitivement.
--Nous voilà bien avancés, dit le ramoneur, nous aurions pu nous éviter le dérangement.
--Pourvu qu'on puisse recoller le grand-père. Crois-tu que cela coûterait très cher?
dit-elle.
La famille fit mettre de la colle sur le dos du Chinois et un lien à son cou, et il fut comme
neuf, mais il ne pouvait plus hocher la tête.
--Que vous êtes devenu hautain depuis que vous avez été cassé, dit le
«sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc ». Il n'y a pas là de quoi être
fier. Aurai-je ou n'aurai-je pas ma bergère?
Le ramoneur et la petite bergère jetaient un regard si émouvant vers le vieux Chinois, ils

avaient si peur qu'il dise oui de la tête; mais il ne pouvait plus la remuer. Et comme il lui
était très désagréable de raconter à un étranger qu'il était obligé de porter un lien à son
cou, les amoureux de porcelaine restèrent l'un près de l'autre, bénissant le pansement du
grand-père et cela jusqu'au jour où eux-mêmes furent cassés.

Le bisaïeul
Le conte n'est pas de moi. Je le tiens d'un de mes amis, à qui je donne la parole: Notre
bisaïeul était la bonté même; il aimait à faire plaisir, il contait de jolies histoires; il avait
l'esprit droit, la tête solide. À vrai dire il n'était que mon grand-père; mais lorsque le petit
garçon de mon frère Frédéric vint au monde, il avança au grade de bisaïeul, et nous ne
l'appelions plus qu'ainsi. Il nous chérissait tous et nous tenait en considération; mais notre
époque, il ne l'estimait guère.» Le vieux temps, disait-il, c'était le bon temps. Tout
marchait alors avec une sage lenteur, sans précipitation; aujourd'hui c'est une course
universelle, une galopade échevelée; c'est le monde renversé.»
Quand le bisaïeul parlait sur ce thème, il s'animait à en devenir tout rouge; puis il se
calmait peu à peu et disait en souriant: «Enfin, peut-être me trompé-je. Peut-être est-ce
ma faute si je ne me trouve pas à mon aise dans ce temps actuel avec mes habitudes du
siècle dernier. Laissons agir la Providence.»
Cependant il revenait toujours sur ce sujet, et comme il décrivait bien tout ce que l'ancien
temps avait de pittoresque et de séduisant: les grands carrosses dorés et à glaces où
trônaient les princes, les seigneurs, les châtelaines revêtues de splendides atours; les
corporations, chacune en costume différent, traversant les rues en joyeux cortège,
bannières et musiques en tête; chacun gardant son rang et ne jalousant pas les autres. Et
les fêtes de Noël, comme elles étaient plus animées, plus brillantes qu'aujourd'hui, et le
gai carnaval! Le vieux temps avait aussi ses vilains côtés: la loi était dure, il y avait la
potence, la roue; mais ces horreurs avaient du caractère, provoquaient l'émotion. Et quant
aux abus, on savait alors les abolir généreusement: c'est au milieu de ces discussions que
j'appris que ce fut la noblesse danoise qui la première affranchit spontanément les serfs et
qu'un prince danois supprima dès le siècle dernier la traite des noirs.
--Mais, disait-il, le siècle d'avant était encore bien plus empreint de grandeur; les hauts
faits, les beaux caractères y abondaient.
--C'étaient des époques rudes et sauvages, interrompait alors mon frère Frédéric; Dieu
merci, nous ne vivons plus dans un temps pareil.
Il disait cela au bisaïeul en face, et ce n'était pas trop gentil. Cependant il faut dire qu'il
n'était plus un enfant; c'était notre aîné; il était sorti de l'Université après les examens les
plus brillants. Ensuite notre père, qui avait une grande maison de commerce, l'avait pris
dans ses bureaux et il était très content de son zèle et de son intelligence. Le bisaïeul avait
tout l'air d'avoir un faible pour lui; C'est avec lui surtout qu'il aimait à causer; mais quand
ils en arrivaient à ce sujet du bon vieux temps, cela finissait presque toujours par de vives
discussions; aucun d'eux ne cédait; et cependant, quoique je ne fusse qu'un gamin, je

remarquai bien qu'ils ne pouvaient pas se passer l'un de l'autre. Que de fois le bisaïeul
écoutait l'oreille tendue, les yeux tout plein de feu, ce que Frédéric racontait sur les
découvertes merveilleuses de notre époque, sur des forces de la nature, jusqu'alors
inconnues, employées aux inventions les plus étonnantes!
--Oui, disait-il alors, les hommes deviennent plus savants, plus industrieux, mais non
meilleurs. Quels épouvantables engins de destruction ils inventent pour s'entre-tuer!
--Les guerres n'en sont que plus vite finies, répondait Frédéric; on n'attend plus sept ou
même trente ans avant le retour de la paix. Du reste, des guerres, il en faut toujours; s'il
n'y en avait pas eu depuis le commencement du monde, la terre serait aujourd'hui
tellement peuplée que les hommes se dévoreraient les uns les autres.
Un
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