Contes merveilleux, Tome I | Page 7

Hans Christian Andersen
et cria:
--Ils se sauvent! Ils se sauvent!
Effrayés, les jeunes gens sautèrent rapidement dans le tiroir du bas de l'armoire. Il y avait
là quatre jeux de cartes incomplets et un petit théâtre de poupées, monté tant bien que mal.

On y jouait la comédie, les dames de carreau et de coeur, de trèfle et de pique, assises au
premier rang, s'éventaient avec leurs tulipes, les valets se tenaient debout derrière elles et
montraient qu'ils avaient une tête en haut et une en bas, comme il sied quand on est une
carte à jouer. La comédie racontait l'histoire de deux amoureux qui ne pouvaient pas être
l'un à l'autre. La bergère en pleurait, c'était un peu sa propre histoire.
--Je ne peux pas le supporter, dit-elle, sortons de ce tiroir.
Mais dès qu'ils furent à nouveau sur le parquet, levant les yeux vers la table, ils
aperçurent le vieux Chinois réveillé qui vacillait de tout son corps. Il s'effondra comme
une masse sur le parquet.
--Voilà le vieux Chinois qui arrive, cria la petite bergère, et elle était si contrariée qu'elle
tomba sur ses jolis genoux de porcelaine.
--Une idée me vient, dit le ramoneur. Si nous grimpions dans cette grande potiche qui est
là dans le coin nous serions couchés sur les roses et la lavande y et pourrions lui jeter du
sel dans les yeux quand il approcherait.
--Cela ne va pas, dit la petite. Je sais que le vieux Chinois et la potiche ont été fiancés, il
en reste toujours un peu de sympathie. Non, il n'y a rien d'autre à faire pour nous que de
nous sauver dans le vaste monde.
--As-tu vraiment le courage de partir avec moi, as-tu réfléchi combien le monde est grand,
et que nous ne pourrons jamais revenir?
--J'y ai pensé, répondit-elle.
Alors, le ramoneur la regarda droit dans les yeux et dit:
--Mon chemin passe par la cheminée, as-tu le courage de grimper avec moi à travers le
poêle, d'abord, le foyer, puis le tuyau où il fait nuit noire? Après le poêle, nous devons
passer dans la cheminée elle-même; à partir de là, je m'y entends, nous monterons si haut
qu'ils ne pourront pas nous atteindre, et tout en haut, il y a un trou qui ouvre sur le
monde.
Il la conduisit à la porte du poêle.
--Oh! que c'est noir, dit-elle.
Mais elle le suivit à travers le foyer et le tuyau noirs comme la nuit.
--Nous voici dans la cheminée, cria le garçon. Vois, vois, là-haut brille la plus belle
étoile.
Et c'était vrai, cette étoile semblait leur indiquer le chemin. Ils grimpaient et rampaient.
Quelle affreuse route! Mais il la soutenait et l'aidait, il lui montrait les bons endroits où
appuyer ses fins petits pieds, et ils arrivèrent tout en haut de la cheminée, où ils s'assirent

épuisés. Il y avait de quoi.
Au-dessus d'eux, le ciel et toutes ses étoiles, en dessous, les toits de la ville; ils
regardaient au loin, apercevant le monde. Jamais la bergère ne l'aurait imaginé ainsi. Elle
appuya sa petite tête sur la poitrine du ramoneur et se mit à sangloter si fort que l'or qui
garnissait sa ceinture craquait et tombait en morceaux.
--C'est trop, gémit-elle, je ne peux pas le supporter. Le monde est trop grand. Que ne
suis-je encore sur la petite table devant la glace, je ne serai heureuse que lorsque j'y serai
retournée. Tu peux bien me ramener à la maison, si tu m'aimes un peu.
Le ramoneur lui parla raison, lui fit souvenir du vieux Chinois, du
«sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc », mais elle pleurait de plus en
plus fort, elle embrassait son petit ramoneur chéri, de sorte qu'il n'y avait rien d'autre à
faire que de lui obéir, bien qu'elle eût grand tort.
Alors ils rampèrent de nouveau avec beaucoup de peine pour descendre à travers la
cheminée, le tuyau et le foyer; ce n'était pas du tout agréable. Arrivés dans le poêle
sombre, ils prêtèrent l'oreille à ce qui se passait dans le salon. Tout y était silencieux;
alors ils passèrent la tête et... horreur! Au milieu du parquet gisait le vieux Chinois,
tombé en voulant les poursuivre et cassé en trois morceaux; il n'avait plus de dos et sa
tête avait roulé dans un coin. Le sergent-major général se tenait là où il avait toujours été,
méditatif.
--C'est affreux, murmura la petite bergère, le vieux grand-père est cassé et c'est de notre
faute; je n'y survivrai pas. Et, de désespoir, elle tordait ses jolies petites mains.
--On peut très bien le requinquer, affirma le ramoneur. Il n'y a qu'à le recoller, ne sois pas
si désolée. Si on lui colle le dos et si on lui met une patte de soutien dans la nuque, il sera
comme neuf et tout prêt à nous dire
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