L'air emporta au loin tout ce qu'on dit.» Ce que c'est que
la vie, dit le chardon: ma fille aînée a trouvé place à une boutonnière, et mon dernier
rejeton a été mis sur un cadre doré. Et moi, où me mettra-t-on?» L'âne était attaché non
loin: il louchait vers le chardon: «Si tu veux être bien, tout à fait bien, à l'abri de la
froidure, viens dans mon estomac, mon bijou. Approche; je ne puis arriver jusqu'à toi, ce
maudit licou n'est pas assez long.» Le chardon ne répondit pas à ces avances grossières. Il
devint de plus en plus songeur, et, à force de tourner et retourner ses pensées, il aboutit,
vers Noël, à cette conclusion qui était bien au-dessus de sa basse condition: «Pourvu que
mes enfants se trouvent bien là où ils sont, se dit-il; moi, leur père, je me résignerai à
rester en dehors de la haie, à cette place où je suis né.
--Ce que vous pensez là vous fait honneur, dit le dernier rayon de soleil. Aussi vous en
serez récompensé.
--Me mettra-t-on dans un pot ou sur un cadre? demanda le chardon.
--On vous mettra dans un conte», eut le temps de répondre le rayon avant de s'éclipser.
La bergère et le ramoneur
As-tu jamais vu une très vieille armoire de bois noircie par le temps et sculptée de
fioritures et de feuillages? Dans un salon, il y en avait une de cette espèce, héritée d'une
aïeule, ornée de haut en bas de roses, de tulipes et des plus étranges volutes entremêlées
de têtes de cerfs aux grands bois. Au beau milieu de l'armoire se découpait un homme
entier, tout à fait grotesque; on ne pouvait vraiment pas dire qu'il riait, il grimaçait; il
avait des pattes de bouc, des cornes sur le front et une longue barbe. Les enfants de la
maison l'appelaient le «sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc ».
Évidemment, peu de gens portent un tel titre et il est assez long à prononcer, mais il est
rare aussi d'être sculpté sur une armoire.
Quoi qu'il en soit, il était là! Il regardait constamment la table placée sous la glace car sur
cette table se tenait une ravissante petite bergère en porcelaine, portant des souliers d'or,
une robe coquettement retroussée par une rose rouge, un chapeau doré et sa houlette de
bergère. Elle était délicieuse! Tout près d'elle, se tenait un petit ramoneur, noir comme du
charbon, lui aussi en porcelaine. Il était aussi propre et soigné que quiconque; il
représentait un ramoneur, voilà tout, mais le fabricant de porcelaine aurait aussi bien pu
faire de lui un prince, c'était tout comme.
Il portait tout gentiment son échelle, son visage était rose et blanc comme celui d'une
petite fille, ce qui était une erreur, car pour la vraisemblance il aurait pu être un peu noir
aussi de visage. On l'avait posé à côté de la bergère, et puisqu'il en était ainsi, ils s'étaient
fiancés, ils se convenaient, jeunes tous les deux, de même porcelaine et également
fragiles.
Tout près d'eux et bien plus grand, était assis un vieux Chinois en porcelaine qui pouvait
hocher de la tête. Il disait qu'il était le grand-père de la petite bergère; il prétendait même
avoir autorité sur elle, c'est pourquoi il inclinait la tête vers le
«sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc» qui avait demandé la main de
la bergère.
--Tu auras là, dit le vieux Chinois, un mari qu'on croirait presque fait de bois d'acajou, qui
peut te donner un titre ronflant, qui possède toute l'argenterie de l'armoire, sans compter
ce qu'il garde dans des cachettes mystérieuses.
--Je ne veux pas du tout aller dans la sombre armoire, protesta la petite bergère, je me
suis laissé dire qu'il y avait là-dedans onze femmes en porcelaine!
--Eh bien! tu seras la douzième. Cette nuit, quand la vieille armoire se mettra à craquer,
vous vous marierez, aussi vrai que je suis Chinois. Et il s'endormit.
La petite bergère pleurait, elle regardait le ramoneur de porcelaine, le chéri de son coeur.
--Je crois, dit-elle, que je vais te demander de partir avec moi dans le vaste monde. Nous
ne pouvons plus rester ici.
--Je veux tout ce que tu veux, répondit-il; partons immédiatement, je pense que mon
métier me permettra de te nourrir.
--Je voudrais déjà que nous soyons sains et saufs au bas de la table, dit-elle, je ne serai
heureuse que quand nous serons partis.
Il la consola de son mieux et lui montra où elle devait poser son petit pied sur les
feuillages sculptés longeant les pieds de la table; son échelle les aida du reste beaucoup.
Mais quand ils furent sur le parquet et qu'ils levèrent les yeux vers l'armoire, ils y virent
une terrible agitation. Les cerfs avançaient la tête, dressaient leurs bois et tournaient le
cou, le «sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc» bondit
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