Contes humoristiques - Tome I | Page 8

Alphonse Allais
laquelle se trouve inscrit le mot Priseurs,
indique la destination de ces voitures.
Il sera donc interdit désormais de priser dans d'autres compartiments que ceux réservés
ad hoc.
À partir du 1er juillet, tous les wagons de première classe seront munis de glaçouillottes
qui ne sont autres que les bouillottes dans lesquelles l'eau chaude est remplacée par de la
glace.
Il est à souhaiter que pareille mesure s'applique aux deuxièmes classes et mêmes aux
troisièmes.
Terminons par une bonne nouvelle.
La Compagnie de l'Ouest vient enfin de donner satisfaction aux incessantes réclamations
des mécaniciens.
L'hiver prochain, sur toutes les grandes lignes, les locomotives seront chauffées.
* * * * *
ENCORE DES BICYCLETTES
M. le préfet de police, au lieu de pourchasser les bookmakers et les innocentes petites
marchandes de fleurs, ferait beaucoup mieux de songer à réglementer les bicyclettes qui,
par ces temps de chaleur, constituent un véritable danger public.

Encore, hier matin, une bicyclette s'est échappée de son hangar et a parcouru à toute
vitesse la rue Vivienne, bousculant tout et semant la terreur sur son passage.
Elle était arrivée au coin du boulevard Montparnasse et de la rue Lepic, quand un brave
agent l'abattit d'une balle dans la pédale gauche.
L'autopsie a démontré qu'elle était atteinte de rage.
Une voiture à bras qu'elle avait mordue a été immédiatement conduite à l'Institut Pasteur.
* * * * *
OÙ LA FALSIFICATION Va-t-elle SE NICHER!
On vient d'arrêter et d'envoyer au Dépôt un charbonnier, le nommé Gandillot, qui avait
trouvé un excellent truc pour faire fortune aux dépens de la bourse et de la santé de ses
clients.
Cet honnête industriel livrait à ses pratiques, au lieu de l'eau qu'on lui demandait, un petit
vin blanc de son pays qu'il achetait à vil prix.
La fraude n'a pas tardé à être découverte, grâce à l'indisposition d'une vieille dame
d'origine polonaise, la veuve Mazur K...., rentière, qui envoya au laboratoire municipal le
liquide douteux.
Le brave Auvergnat aura à rendre compte à la justice de son ingénieuse combinaison.
* * * * *
BAISSE ACCIDENTELLE DE LA SEINE
Un accident étrange et, par bonheur, assez rare, vient de jeter la perturbation chez tous les
riverains de la Seine.
Un énorme chaland, chargé de papier buvard, est venu heurter une des piles du Pont
Royal. Une voie d'eau se déclara, et le bâtiment coula immédiatement.
Le papier buvard contenu dans le chaland absorba bientôt toute l'eau ambiante et il
s'ensuivit un abaissement de 1m20 dans l'étiage du fleuve.
Les pompiers du poste de la rue Blanche, mandés sur-le-champ, arrivèrent et se mirent en
devoir de rétablir les choses en leur état.
Après six heures de travail acharné, la Seine avait repris son niveau normal.
Malheureusement, les braves pompiers, dans leur zèle, ne manquèrent pas de causer force
dégâts.
Signalons notamment l'établissement de bains froids Deligny, qui a été littéralement

inondé.
Un peu moins de zèle, que diable!
* * * * *
Eh bien! mon vieux Chalonnais, suis-je foutu (sic) de tourner un fait-divers, oui ou non?

Loufoquerie
Cet homme me contemplait avec une telle insistance que je commençais à en prendre
rage. Pour un peu, je lui aurais envoyé une bonne paire de soufflets sur la physionomie,
sans préjudice pour un coup de pied dans les gencives.
--Quand vous aurez fini de me regarder, espèce d'imbécile? fis-je au comble de l'ire.
Mais lui se leva, vint à moi, prit mes mains avec toutes les marques de l'allégresse
affectueuse.
--Est-ce bien toi qui me parles ainsi? dit-il.
Je ne le reconnaissais pas du tout.
Il se nomma: Edmond Tirouard.
--Comment, m'exclamai-je, c'est toi, mon pauvre Tirouard! Je ne te remettais pas. Mais
pardon, si j'ose, n'étais-tu point dans le temps blond avec des yeux bleus?
--C'est juste, je me suis fait teindre les cheveux et les yeux! Suis-je pas mieux en brun?
Ce pauvre Tirouard, j'étais si content de le revoir! Depuis le temps!
Et nous égrenâmes les souvenirs du passé.
Et Machin? Et Untel? Et Chose? Hélas! que de disparus!
Tirouard et moi, nous étions dans la même classe au collège. Je ne me rappelle pas bien
lequel de nous deux était le plus flemmard, mais ce qu'on rigolait!
Il mettait au pillage la maison de son père qui était quincaillier et nous apportait chaque
matin mille petits objets utiles ou agréables: des couteaux, des vis, des cadenas, des
aimants (j'adorais les aimants).
Moi, en ma qualité de fils de pharmacien, je gorgeais mes camarades d'un tas de
cochonneries: des pâtes pectorales, des dattes. Entre-temps j'apportais des seringues en
verre (ô joie!) et des suspensoirs qu'on transformait en frondes.
Un jour--mon Dieu! ai-je ri ce jour-là!--j'arrivai muni d'une boîte de biscuits dont chacun

recelait, si j'ai bonne mémoire, soixante-quinze centigrammes de scammonée.
Toute la classe ne fit qu'une bouchée de ces friandises
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