soir--oh! cet inoubliable
soir!...--nous étions dans le salon, je feuilletais un album de photographies, et elle, l'idole,
me désignait: mon cousin Chose, ma tante Machin, une belle-soeur de mon mari, mon
oncle Untel, etc., etc.
«--Et celle-ci, la connaissez-vous?
«--Parfaitement, c'est Mlle Claire.
«--Eh bien, pas du tout! C'est moi à vingt ans.
«Et elle me conta qu'à vingt ans, elle ressemblait exactement à Claire, sa fille, si
exactement qu'en regardant Claire elle s'imaginait se considérer dans son miroir d'il y a
vingt ans.
«Était-ce possible!
«Comment cette adorable créature, potelée si délicieusement, avait-elle pu être une telle
fille sèche et maigre?
«Alors, mon pauvre ami, une idée me vint qui m'inonda de clartés et de joies.
«Enfin, je tenais le bonheur!
«»Si la mère a ressemblé si parfaitement à la fille, me dis-je, il est certain qu'un jour la
fille ressemblera parfaitement à la mère».
«Et voilà pourquoi j'ai épousé Claire, la semaine dernière.
«Aujourd'hui, elle a vingt ans, elle est laide.
Mais dans vingt ans, elle en aura quarante, et elle sera radieuse comme sa mère!
«J'attendrai, voilà tout!»
Et Colydor, évidemment très fier de sa combinaison, ajouta:
--Tu ne m'appelleras plus loufoque, maintenant... hein!
Phares
L'Eure est probablement un des rares départements terriens français, et certainement le
seul, qui possède un phare maritime.
À la suite de quelles louches intrigues, de quelles basses démarches, de quelles
nauséeuses influences ce département d'eau douce est-il arrivé à faire ériger en son sein
un phare de première classe? Voilà ce que je ne saurais dire, voilà ce que je ne voudrais
jamais chercher à savoir.
Quelques petits jeunes gens des Ponts et Chaussées me répondront d'un air suffisant qu'un
phare élevé en terre ferme peut éclairer une portion de mer sise pas trop loin de là. Soit!
Il n'en est pas moins humiliant, quand on habite Honfleur (des Honfleurais fondèrent
Québec en 1608) et qu'un ami, O'Reilly ou un autre, vous prie de lui faire visiter un phare
de la première classe, il n'en est pas moins humiliant, dis-je, de le trimballer dans un
département voisin dont le plus intrépide navigateur est tanneur à Pont-Audemer.
Non pas que le voyage en soit regrettable, oh! que non pas! La route est charmante d'un
bout à l'autre, peuplée de vieilles sempiterneuses qui tricotent, de jeunes filles qui
attendent à la fontaine que leur siau se remplisse. Ah! combien exquises, ces Danaïdes
normandes, une surtout, un peu avant Ficquefleur!
Alors, on arrive à Fatouville: c'est là le phare.
Un gardien vous accueille, c'est le gardien-chef, ne l'oublions pas, un gardien-chef de
première classe, comme il a soin de vous en aviser lui-même.
On gravit un escalier qui compte un certain nombre de marches (sans cela serait-il un
escalier? a si bien fait observer le cruel observateur Henry Somm).
Ces marches, j'en savais le nombre hier; je l'ignore aujourd'hui. L'oubli, c'est la vie.
Parvenu là-haut, on jouit d'une vue superbe, comme disent les gens. On découvre (j'ai
encore oublié ce quantum) une foule considérable de lieues carrées de territoire. Pourquoi
des lieues carrées dans un panorama circulaire?
--Quel est ce petit phare? demande une de nos compagnes en désignant un point de la
basse Seine.
--Un phare ça! Vous appelez ça un phare? fait le gardien vaguement indigné.
Notre compagne, confuse, en pique un (de fard).
--Ce n'est pas un phare, madame, c'est un feu
Il nous dit même le nom du feu, mais je l'ai oublié comme le reste.
Quand nous avons découvert assez de territoire, nous descendons le nombre de marches
qui constituent l'escalier dont j'ai parlé plus haut.
Un registre nous tend les bras, pour que nous y tracions nos noms de visiteurs.
Je signe modestement Francisque Sarcey, en ajoutant dans la colonne Observations cette
phrase ingénieuse:
La phrase que j'ai inscrite s'est évadée de ma mémoire, comme tant d'autres histoires.
Je feuillette le registre, et je n'en reviens pas de la stupidité de mes contemporains.
Comme les gens sont bêtes, mon Dieu! comme ils sont bêtes!
La colonne Observations du registre de Fatouville constitue certainement le plus beau
monument de bêtise humaine qu'on puisse contempler en ce bas monde.
Tout un firmament de lunes n'en donnerait qu'une faible idée.
J'en excepte un quatrain vieux de quelques mois, de Georges Lorin, et une réflexion de
Pierre Delcourt.
Le quatrain de Lorin est à sextuple détente; quant à la phrase de Delcourt, elle fait se
retirer toutes seules les échelles.
Voici le quatrain:
Comme il est des femmes gentilles, Il est des calembours amers: Le phare illumine les
mers, Le fard enlumine les filles!
À Delcourt, maintenant:
_Le phare de Fatouville n'est, à tout prendre, qu'une vaste chandelle. Il en a, toutes
proportions gardées, la forme et le pouvoir éclairant_.
Puis nous nous retirâmes.
Nous allions monter en voiture, quand une espèce de petit
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.