Contes et nouvelles | Page 8

Edouard Laboulaye
que d'autres nomment Sarrasins.
En ce temps-l��, il y avait �� Paestum un marchand bon comme le pain, doux comme le miel, riche comme la mer. On l'appelait Cecco; il ��tait veuf, et n'avait qu'une fille qu'il aimait comme son oeil droit, Violette, c'��tait le nom de cette enfant ch��rie, ��tait blanche comme du lait et rose comme la fraise. Elle avait de longs cheveux noirs, des yeux plus bleus que le ciel, une joue velout��e comme l'aile d'un papillon, et un grain de beaut�� juste au coin de la l��vre. Joignez �� cela l'esprit du d��mon, la grace d'une Madeleine, la taille de V��nus et des doigts de f��e. Vous comprendrez qu'�� la premi��re vue, jeunes et vieux ne pouvaient se d��fendre de l'aimer.
Quand Violette eut quinze ans, Cecco songea �� la marier. C'��tait pour lui un grand souci. L'oranger, pensait-il, donne sa fleur sans savoir qui la cueillera; un p��re met au monde une fille, et, pendant de longues ann��es, la soigne comme la prunelle de ses yeux pour qu'un beau jour un inconnu lui vole son tr��sor, sans m��me le remercier. O�� trouver un mari digne de ma Violette? N'importe, elle est assez riche pour choisir qui lui plaira; belle et fine comme elle est, elle apprivoiserait un tigre, si elle s'en m��lait.
Souvent donc le bon Cecco essayait adroitement de parler mariage �� sa fille; autant e?t valu jeter ses discours �� la mer. D��s qu'il touchait cette corde, Violette baissait la t��te et se plaignait d'avoir la migraine; le pauvre p��re, plus troubl�� qu'un moine qui perd la m��moire au milieu de son sermon, changeait aussit?t de conversation, et tirait de sa poche quelque cadeau qu'il avait toujours en r��serve. C'��tait une bague, un chapelet, un d�� d'or; Violette l'embrassait, et le sourire revenait comme le soleil apr��s la pluie.
Un jour cependant que Cecco, plus avis��, avait commenc�� par o�� il finissait d'ordinaire, et que Violette avait dans les mains un si beau collier qu'il lui ��tait difficile de s'affliger, le bonhomme revint �� la charge. ?O amour et joie de mon coeur, lui disait-il en la caressant, baton de ma vieillesse, couronne de mes cheveux blancs, ne verrai-je jamais l'heure o�� l'on m'appellera grand-p��re? Ne sens-tu pas que je deviens vieux? ma barbe grisonne et me dit chaque jour qu'il est temps de te choisir un protecteur. Pourquoi ne pas faire comme toutes les femmes? Vois-tu qu'elles en meurent? Qu'est-ce qu'un mari? C'est un oiseau en cage, qui chante tout ce qu'on veut. Si ta pauvre m��re vivait encore, elle te dirait qu'elle n'a jamais pleur�� pour faire sa volont��; elle a toujours ��t�� reine et imp��ratrice au logis. Je n'osais souffler devant elle, pas plus que devant toi, et je ne puis me consoler de ma libert��.
--P��re, dit Violette en lui prenant le menton, tu es le ma?tre, c'est �� toi de commander. Dispose de ma main, choisis toi-m��me. Je me marierai quand tu voudras et �� qui tu voudras. Je ne te demande qu'une seule chose.
--Quelle qu'elle soit, je te l'accorde, s'��cria Cecco, charm�� d'une sagesse �� laquelle on ne l'avait pas habitu��.
--Eh bien! mon bon p��re, tout ce que je d��sire, c'est que le mari �� qui tu me donneras n'ait pas l'air d'un chien.
--Voil�� une id��e de petite fille, s'��cria le marchand rayonnant de joie. On a raison de dire que beaut�� et folie vont souvent de compagnie. Si tu n'avais pas tout l'esprit de ta m��re, dirais-tu de pareilles sottises? Crois-tu qu'un homme de sens comme moi, crois-tu que le plus riche marchand de Paestum sera assez niais pour accepter un gendre �� face de chien? Sois tranquille, je te choisirai, ou plut?t tu te choisiras le plus beau et le plus aimable des hommes. Te fall?t-il un prince, je suis assez riche pour te l'acheter.?
[Illustration]
A quelques jours de l��, il y eut un grand d?ner chez Cecco; il avait invit�� la fleur de la jeunesse �� vingt lieues �� la ronde. Le repas ��tait magnifique; on mangea beaucoup, on but davantage; chacun se mit �� l'aise et parla dans l'abondance de son coeur. Quand on eut servi le dessert, Cecco se retira dans un coin de la salle, et prenant Violette sur ses genoux:
?Ma ch��re enfant, lui dit-il tout bas, regarde-moi ce joli jeune homme aux yeux bleus, qui a une raie au milieu de la t��te. Crois-tu qu'une femme serait malheureuse avec un pareil ch��rubin?
--Vous n'y pensez pas, mon p��re, dit Violette en riant; il a l'air d'une levrette.
--C'est vrai, s'��cria le bon Cecco, une vraie t��te de levrette! O�� avais-je les yeux, pour ne pas voir cela? Mais ce beau capitaine qui a le front ras, le cou serr��, les yeux �� fleur de t��te, la poitrine bomb��e, c'est un homme celui-l��, qu'en dis-tu?
--Mon p��re, il ressemble ��
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