pauvre homme se donna
beaucoup de mal pendant cet incendie; il s'agita autour d'une grosse
meule de blé qui n'était pas encore achevée et qui brûla presque tout
entière. Il eut chaud et froid et gagna une pleurésie dont il mourut au
bout de quinze jours, entièrement ruiné, et ne laissant rien à ses enfants.
Sa femme, ne pouvant plus les nourrir, dut les mettre en condition; et
Jacques, à douze ans, n'ayant encore jamais rien fait, fut placé comme
vacher dans la famille du petit garçon qu'il avait le plus souvent
mortifié à cause de ses habits rapiécés.
Cet enfant avec qui Jacques avait fait tant le glorieux s'appelait Pierre.
Il avait un bon coeur, et voyant combien Jacques avait de chagrin de
porter de vilaines blouses, il ne lui parlait jamais de son ancienne vanité.
Il se battait même avec les camarades qui, bien souvent, en voyant
Jacques passer menant ses vaches à l'abreuvoir, criaient après lui:
«Hé! le glorieux qui est à la queue des vaches!
«Hé! le glorieux qui a des sabots percés!
«Hé! dis donc, glorieux! qu'as-tu fait de tes belles juments?»
Jacques ne leur répondait pas, sentant bien qu'il avait mérité qu'on le
raillât ainsi; mais il fut touché de la grande bonté de Pierre qui prenait
sa défense, et pourtant Jacques l'avait souvent humilié! Ce qui
n'empêchait pas l'autre de le traiter plutôt en frère qu'en domestique. Le
malheur le rendit doux et humble. Il pensa beaucoup à tout ce qui lui
était arrivé, et finit par se trouver heureux dans sa pauvreté, parce qu'il
se sentait débarrassé de toute la vanité qui emplissait son coeur
auparavant; et aussi parce qu'on commençait à l'aimer dans le village.
LES TARTELETTES.
Pierrette avait une marraine qu'elle aimait beaucoup. Elle allait la voir
de temps en temps, et il fallait une heure pour aller jusque chez elle, et
une heure pour en revenir; mais Pierrette avait tant de plaisir à voir sa
marraine qu'elle ne se plaignait jamais de la longueur du chemin.
Le père de Pierrette avait des pigeons qui eurent de si jolis petits, que
l'enfant voulut en élever elle-même une paire, afin de les offrir à sa
marraine le jour de sa fête. Quand ils mangèrent seuls, elle les plaça
dans le cabinet où elle couchait. Elle en eut tant de soin qu'en peu de
temps ils furent apprivoisés. Ils venaient manger dans la main de leur
petite maîtresse, et la suivaient quand elle allait dans son jardin. S'ils
volaient sur le toit de la maison, ils venaient se poser sur son épaule ou
sur son bras aussitôt qu'elle les appelait.
Vers la Saint-Pierre, les petits pigeons étaient dans toute leur beauté;
leur cou changeait de couleur au moindre mouvement qu'ils faisaient;
celui du mâle était tantôt bleu, tantôt rouge et puis violet; la petite
femelle avait des couleurs moins foncées: elle était rose et verte, puis
lilas; enfin, rien n'était plus joli à voir que ces deux petits animaux.
La veille de la fête de sa marraine, Pierrette mit ses plus beaux habits et
fit un gros bouquet des plus belles fleurs de son jardin; puis elle partit
toute seule, pour aller lui porter les pigeons.
Elle trouva grande compagnie chez sa marraine, à qui l'on avait donné
beaucoup de biscuits et de gâteaux pour sa fête. Toute la famille était à
table, et Pierrette fut comme honteuse de se trouver au milieu de tant de
monde.
La marraine trouva les pigeons charmants; elle embrassa Pierrette et la
fit placer auprès d'elle, afin qu'elle goûtât de toutes les bonnes choses
qui étaient sur la table.
Quand la petite voulut s'en retourner chez sa mère, on lui donna trois
tartelettes: une pour elle, et les deux autres pour ses petits frères. On les
enveloppa dans un papier très-propre, et Pierrette les porta à la main.
En passant le long du ruisseau, Pierrette trouva quatre petits garçons
qui pêchaient des écrevisses. Elle ne s'arrêta pas pour les regarder,
parce que sa maman lui avait défendu de parler aux petits garçons et de
jouer avec eux. Le plus grand des quatre, qui avait bien douze ans, lui
dit:
«Tu es bien fière, toi? Pourquoi ne nous dis-tu rien en passant?»
Pierrette ne répondit pas et continua son chemin.
«Vois-tu bien cette demoiselle qui ne nous répond seulement pas? dit
un autre en la suivant. Qu'est-ce qu'elle porte donc dans sa main?» Et
comme Pierrette marchait toujours sans rien dire:
«Je la ferai bien parler, moi,» dit un tout petit.
Alors Pierrette, qui commençait à avoir peur, ce mit à courir de toutes
ses forces. Les gamins la poursuivirent en lui jetant de la boue d'abord,
puis des pierres; et comme elle ne s'arrêtait pas, le plus grand, courut
plus fort qu'elle et se mit en travers
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