Mais Fran?ois soudain s'arrêta et demeurant immobile d'étonnement:
--Oh! regardez, dit-il.
Les vignes avaient cessé, et toute la c?te maintenant était couverte de lilas en fleurs. C'était un bois violet! une sorte de grand tapis étendu sur la terre, allant jusqu'au village, là-bas, à deux ou trois kilomètres.
Elle restait aussi saisie, émue. Elle murmura:
--Oh! que c'est joli!
Et, traversant un champ, ils allèrent, en courant, vers cette étrange colline, qui fournit, chaque année, tous les lilas tra?nés à travers Paris, dans les petites voitures des marchandes ambulantes.
Un étroit sentier se perdait sous les arbustes. Ils le prirent et, ayant rencontré une petite clairière, ils s'assirent.
Des légions de mouches bourdonnaient au-dessus d'eux, jetaient dans l'air un ronflement doux et continu. Et le soleil, le grand soleil d'un jour sans brise, s'abattait sur le long coteau épanoui, faisait sortir de ce bois de bouquets un ar?me puissant, un immense souffle de parfums, cette sueur des fleurs.
Une cloche d'église sonnait au loin.
Et, tout doucement, ils s'embrassèrent, puis s'étreignirent, étendus sur l'herbe, sans conscience de rien que de leur baiser. Elle avait fermé les yeux et le tenait à pleins bras, le serrant éperdument, sans une pensée, la raison perdue, engourdie de la tête aux pieds dans une attente passionnée. Et elle se donna tout entière sans savoir ce qu'elle faisait, sans comprendre même qu'elle s'était livrée à lui.
Elle se réveilla dans l'affolement des grands malheurs et elle se mit à pleurer, gémissant de douleur, la figure cachée sous ses mains.
Il essayait de la consoler. Mais elle voulut repartir, revenir, rentrer tout de suite. Elle répétait sans cesse, en marchant à grands pas:
--Mon Dieu! mon Dieu!
Il lui disait:
--Louise! Louise! restons, je vous en prie.
Elle avait maintenant les pommettes rouges et les yeux caves. Dès qu'ils furent dans la gare de Paris, elle le quitta sans même lui dire adieu.
* * * * *
Quand il la rencontra, le lendemain, dans l'omnibus, elle lui parut changée, amaigrie. Elle lui dit:
--Il faut que je vous parle; nous allons descendre au boulevard.
Dès qu'ils furent seuls, sur le trottoir:
--Il faut nous dire adieu, dit-elle. Je ne peux pas vous revoir après ce qui s'est passé.
Il balbutia:
--Mais, pourquoi?
--Parce que je ne peux pas. J'ai été coupable. Je ne le serai plus.
Alors il l'implora, la supplia, torturé de désirs, affolé du besoin de l'avoir tout entière, dans l'abandon absolu des nuits d'amour.
Elle répondait obstinément:
--Non, je ne peux pas. Non, je ne peux pas.
Mais il s'animait, s'excitait davantage. Il promit de l'épouser. Elle dit encore:
--Non.
Et le quitta.
Pendant huit jours, il ne la vit pas. Il ne la put rencontrer, et, comme il ne savait point son adresse, il la croyait perdue pour toujours.
Le neuvième, au soir, on sonna chez lui. Il alla ouvrir. C'était elle. Elle se jeta dans ses bras, et ne résista plus.
Pendant trois mois, elle fut sa ma?tresse. Il commen?ait à se lasser d'elle, quand elle lui apprit qu'elle était grosse. Alors, il n'eut plus qu'une idée en tête: rompre à tout prix.
Comme il n'y pouvait parvenir, ne sachant s'y prendre, ne sachant que dire, affolé d'inquiétudes, avec la peur de cet enfant qui grandissait, il prit un parti suprême. Il déménagea, une nuit, et disparut.
Le coup fut si rude qu'elle ne chercha pas celui qui l'avait ainsi abandonnée. Elle se jeta aux genoux de sa mère en lui confessant son malheur; et, quelques mois plus tard, elle accoucha d'un gar?on.
* * * * *
Des années s'écoulèrent. Fran?ois Tessier vieillissait sans qu'aucun changement se fit en sa vie. Il menait l'existence monotone et morne des bureaucrates, sans espoirs et sans attentes. Chaque jour, il se levait à la même heure, suivait les mêmes rues, passait par la même porte devant le même concierge, entrait dans le même bureau, s'asseyait sur le même siège, et accomplissait la même besogne. Il était seul au monde, seul, le jour, au milieu de ses collègues indifférents, seul, la nuit, dans son logement de gar?on. Il économisait cent francs par mois pour la vieillesse.
Chaque dimanche, il faisait un tour aux Champs-élysées, afin de regarder passer le monde élégant, les équipages et les jolies femmes.
Il disait le lendemain, à son compagnon de peine:
--Le retour du bois était fort brillant, hier.
Or, un dimanche, par hasard, ayant suivi des rues nouvelles, il entra au parc Monceau. C'était par un clair matin d'été.
Les bonnes et les mamans, assises le long des allées, regardaient les enfants jouer devant elles.
Mais soudain Fran?ois Tessier frissonna. Une femme passait, tenant par la main deux enfants: un petit gar?on d'environ dix ans, et une petite fille de quatre ans. C'était elle.
Il fit encore une centaine de pas, puis s'affaissa sur une chaise, suffoqué par l'émotion. Elle ne l'avait pas reconnu. Alors il revint, cherchant à la voir encore. Elle s'était assise, maintenant. Le gar?on demeurait très sage, à son c?té, tandis que la fillette faisait des
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