Contes des fees | Page 3

Robert de Bonnières
qu'on s'en récrie.
SAUGE-FLEURIE
I
COMMENT SAUCE-FLEURIE AIMA LE FILS?DU ROI
Alors vivait sans crédit ni richesse?Une Fée humble et seule; car il est?Des rangs parmi ces Dames, s'il vous pla?t,?Comme, chez nous, de vilaine à duchesse.?Bien qu'elle n'e?t ni renom ni pouvoir?Et qu'elle fut pauvre en sa confrérie,?Pauvre jusqu'au besoin, Sauge-Fleurie?--Tel est son nom--était charmante à voir.?Au bord d'un lac tout fleuri de jonquilles,?Elle habitait le tronc d'un saule creux?Et ne quittait son réduit ténébreux?Plus que ne font les perles leurs coquilles.?Mais un beau jour que, chassant par le bois?Avec sa meute un superbe équipage,?Le fils du Roi menait à grand tapage?Du bois au lac un dix cors aux abois,?Pour voir les chiens et la belle poursuite?Et les pourpoints brillants des cavaliers,?Elle quitta son arbre, et des halliers?Voyait passer le Prince avec sa suite.?Le Fils du Roi, qui saluait déjà?(Car c'est de Fée à Prince assez l'usage)?En voyant mieux un si charmant visage,?S'arrêta court et la dévisagea.?Sauge, sans plus se cacher dans les branches,?En le voyant si beau, de son c?té?Le regardait devant elle arrêté,?Droit dans les yeux de ses prunelles franches.
Na?f amour par pudeur s'enhardit:?Le Fils du Roi baissa les yeux par contre;?Chacun s'en fut méditant la rencontre:?--Tous deux s'aimaient et ne s'étaient rien dit.
II
COMMENT UNE MAITRESSE-FéE CONDAMNA?SAUGE-FLEURIE
Or tout se sait: une Ma?tresse-Fée?Fit donc venir Sauge à son tribunal.?Vêtue ainsi que l'oiseau cardinal,?La Vieille était d'aspics ébouriffée:?Elle était vieille, et par cela j'entends?Que de jeunesse elle était ennemie.?--On le va voir:--?Je veux, Sauge, ma mie,??Te corriger, s'il en est encor temps,??Lui dit la Vieille aigrement. ?Sans mon zèle,?Vous nous l'alliez donner belle à ravir?Et par ma foi vous nous alliez servir?Un joli plat d'amour, Mademoiselle.?Passe un beau Sire et, sans plus de fa?ons,?Voilà mes gens amoureux face à face!?Pardieu! plut?t que la chose se fasse?Je ferai pendre ici dix beaux gar?ons.??Et ce disant en parut si méchante?Qu'elle e?t fait peur même au Roi Très Chrétien?Par sa beauté, sa grace et son maintien,?Sauge-Fleurie était pourtant touchante.?Mais rien ne fait contre haine et pouvoir.?--?Il faudra bien que ton beau bec réponde,?Car, sans chanter, il n'est poule qui ponde,?Sauge ma mie--et je te vais pourvoir!?
Je vous dirai, sans tarder davantage,?Si votre coeur s'intéresse à son sort,?Qu'aimer un homme était un cas de mort?Pour Sauge, esprit n'ayant chair en partage:?Ce que prouva la Vieille en un latin?Qui dépassait l'intellect en puissance,?Et distingua des cas de quintessence?A dérouter Sauge et l'abbé Cotin.
Sauge, pourtant, demeurait bouche close?Et de cela ne voulait seulement?Qu'aimer le Prince et mourir en l'aimant?Comme disait la Vieille avec sa glose.?Sans moi déjà vous avez pu songer?Qu'en cette affaire ayant la loi formelle?Et des aveux, notre juge femelle?Condamna Sauge, et sans rien ménager.?Et pensez bien que la Fée amoureuse?Ne marchanda son immortalité,?Et que du coup, comme on me l'a conté,?Elle s'en fut-plus que vivante heureuse![1]
[Note 1: Voir la note à la fin du volume.]
III
COMMENT SAUGE-FLEURIE ALLA TROUVER LE PRINCE?EN SON CHATEAU
Or nul pouvoir ne pouvait s'opposer,?Malgré l'arrêt de notre Vieille en rage,?Au libre emploi de son gentil courage?Non plus qu'au choix de son premier baiser.?--Sauge, à pied donc comme en pèlerinage,?Alla trouver le Prince en son chateau,?Et tout le long de la route un manteau?Rude et grossier cacha son personnage.?Elle arriva par la pluie et le vent,?Sur elle ayant laissé crever la nue;?Et, si d'abord fut des gens méconnue,?Ne surprit point le Prince en arrivant.
--?Mon coeur, dit-il, vous attendait, Princesse;?Du bois au lac, je vous cherchais, ma Fleur,?Et fatiguais du cri de ma douleur?L'onde et le ciel, n'ayant repos ni cesse.?
--Et ce disant, il se prit à baiser?A deux genoux sa main mignonne et fine,?Et puis voulut sur l'heure à la Dauphine?Présenter Sauge avant de l'épouser:?Il lui fit faire un peu de belle flamme?Pour la sécher d'abord. Tant de beauté,?De naturel et de simplicité?En cet état le touchait jusqu'à l'ame.?Il fit venir perles, saphirs, rubis,?Bijoux montés et beaux luths de Vérone.?Il fit de même apporter la couronne?Et préparer des merveilleux habits.
IV
COMMENT SAUGE-FLEURIE FIT AU PRINCE UN NOBLE?ET TOUCHANT DISCOURS
Sauge admira ces objets sans envie?Et dit:
?Seigneur, les beaux jours sont comptés.?Aimez-moi bien, et jamais ne doutez?Du bel amour dont j'ai l'ame ravie.?Est-il pour moi besoin de tant d'apprêt??N'aimez-vous point la belle solitude,?Et des amants n'est-ce plus l'habitude?De mieux s'aimer quand l'amour est secret??Restons ici sans plus, si bon vous semble;?Nos yeux pourront se parler à loisir,?Et nous n'aurons de si charmant plaisir?Que seul à seul à demeurer ensemble.?Auprès de vous, je sens mon coeur léger;?Légère est l'heure aussi qui me convie?Et là, tout beau! je vous donne ma vie.?Prenez-la donc, mais sans m'interroger.?
Elle lui fit un généreux sourire?Ne regrettant ce qu'elle avait bien fait,?N'y songeant même.--Et son bonheur parfait?En mots humains ne se pourrait décrire.?--Amour et Mort sont toujours à l'aff?t:?Ne croyez pas que celle que je pleure?Fut épargnée.
Elle sécha sur l'heure?Comme une fleur de sauge qu'elle fut.
MORALITé
Je compte peu qu'une femme ainsi m'aime?Jusqu'à mourir: ceci
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