Contes des fees | Page 2

Robert de Bonnières
à foison,?En tout temps et toute saison,?Quand Amour se ferait conna?tre.?Notre Marraine avait été?Malicieuse autant que bonne,?En cela contraire à Sorbonne,?Qui n'a malice ni bonté.
Il advint, comme bien on pense,?Qu'à son fait, petit à petit,?Leur même désir aboutit,?Et qu'Amour eut sa récompense:?Le page re?ut, un beau jour,?Un message de sa ma?tresse,?Qui lui mandait, par lettre expresse,?De l'attendre au pied de sa tour,?Qu'elle descendrait à sa vue,?Et que le soir même elle irait,?Avec le Page, où Dieu voudrait.?Et de son seul amour pourvue.?Dans un pli de satin léger?L'Infante enferma son message,?Et quelque linot de passage?Fut au Page bon messager.
La rencontre eut lieu, j'imagine.?Et, cette nuit-là, par les champs?Il fut dit bien des mots touchants,?Et bien baisé deux mains d'hermine.?--Laissons-les, où qu'ils soient allés:?Dès l'aube, une route fleurie?Vers nos amants, en ma féerie,?Nous conduira, si vous voulez;?Car le don que de sa Marraine?Eut Belle-Mignonne en naissant?Fit que ses pieds allaient tra?ant?Un beau chemin de fleurs, sans graine.
Chacun de ses pas amoureux?Avait fait na?tre oeillets, pervenches,?Roses roses, rouges et blanches.?Pavots divers et lys nombreux,?Et na?tre mauves, paquerettes,?Herbe aux perles, reines des prés,?Hyacinthes, gla?euls pourprés,?Folle avoine aux folles aigrettes,?Et na?tre encore serpolets,?Muguets, sauges et véroniques,?Pivoines aux rouges tuniques,?Soleils d'or, iris violets,?Et roselettes centaurées,?Basilics aux parfums troublants,?Menthes, liserons bleus ou blancs?Et belles-de-nuit azurées,?--Et, s'il fallait dire en tout point?Les fleurs qu'elle avait fait éclore,?Pas plus que les jardins de Flore,?Mon jardin n'y suffirait point.
III
COMMENT LE ROI ET LA COUR SUIVIRENT LES AMANTS?A LA TRACE ET DéCOUVRIRENT UN CHATEAU?DE FLEURS AU LIEU DE FORET
Quand les servantes éveillées?Virent jusqu'aux horizons bleus?Ce beau chemin miraculeux,?Du haut des tours ensoleillées,?En hate, aux Dames du palais?Elles furent conter la chose,?Et les Princes, pour même cause,?Furent cherchés par leurs valets.?Ce fut un grand remue-ménage?Dans le chateau, jusqu'à ce point?Qu'ayant mis son plus beau pourpoint,?Le Roi fut du pèlerinage.?La Cour entière par les prés?Marchait en bel ordre à sa suite,?Suivant nos amants et leur fuite?En tous ses détours diaprés.
La surprise était infinie?De ce que ce nouveau printemps?Foisonnat de fleurs dans le temps?Qu'il n'est aux champs qu'herbe jaunie.
Or cet admirable chemin?Menait à la forêt prochaine:?Il n'était charme, orme, if ou chêne?Qui ne f?t tendu de jasmin,?De chèvre-feuille, de glycine,?De vigne vierge et d'autres fleurs,?Mêlant et tramant leurs couleurs,?D'une branche à l'autre voisine.?Tant et si bien, qu'en ces beaux lieux?Ce n'est plus, comme en l'entourage,?Forêt d'automne sans ombrage,?Mais plut?t palais merveilleux,?Aux murs faits de branches taillées,?Et batis de fleurs en arceaux?Où chantaient de rares Oiseaux,?Sur des corniches de feuillées.
De leurs cent voix, l'écho chanteur?Salua le Roi dès l'entrée,?Dont l'ame encor fut pénétrée?D'une même et fraiche senteur,?Laquelle était si bien formée?De tant de parfums différents,?Qu'à mon embarras je comprends?Qu'aucun auteur ne l'ait nommée.?Le Roi, du portail, pas à pas?Poussa jusques aux galeries?Où figuraient ses armoiries?De lys sur ne-m'oubliez-pas.?Il fut touché de cet hommage?De Fée à Monarque, d'autant?Que les Oiseaux allaient chantant?Ses hauts faits en humain ramage.
IV
COMMENT BELLE-MIGNONNE ET LE PAGE PARFAIT?FURENT TROUVéS L'UN PRèS DE L'AUTRE?ENDORMIS
Les Oiseaux avaient leur secret?Qui le précédaient par volée,?Le menant d'allée en allée,?De salon en grotte et retrait.?Toute la noble multitude?Cueillait des fleurs, chemin faisant,?Et l'on parvint, en devisant?De solitude en solitude,?Jusqu'à l'Antre d'or où, parmi?Des fleurs plus blanches que nature,?Mignonne, en belle créature,?Dormait près du Page endormi.
Le Roi ne contint sa colère?Devant ce spectacle nouveau:?Tel cas à son royal cerveau?Ne pouvait, vraiment, que déplaire.?Et tout, dans le premier moment,?En voyant ce tableau coupable.?Il aurait bien été capable?D'ordonner qu'on pend?t l'amant.?N'était-ce point un pauvre sire,?N'ayant sou, ni maille, ni nom,?Si mince et petit compagnon?Qu'écuyer n'eut daigné l'occire!
Ils étaient pourtant beaux ainsi,?Tête contre tête penchée,?Chevelure en blonde jonchée,?Et bras enlacés à merci.?Ils souriaient, et dans leur rêve,?Aussi charmant qu'eux et léger,?Ils semblaient encor prolonger?L'heure aux amants toujours trop brève;?Car ils balbutiaient entre eux?Des mots si doux de voix si tendre,?Qu'aux bois il n'est plus doux d'entendre?Ensemble ramiers amoureux.?--?Je vous aime, Belle-Mignonne;??--?Je vous aime, Page-Parfait;??Redisaient-ils. Amour de fait?Autrement ni plus ne jargonne.
Le bel Amour n'a jamais tort.?Le Roi pouvait-il d'aventure?Empêcher que, contre nature,?Amant aimé f?t le plus fort??Contre ouragan, feu, fer et flamme,?Contre vent, marée et fureurs,?Poisons, serpents, rois, empereurs,?Prévaut force aimante de l'ame.?Notre Roi donc, bien qu'à regret?Et bien qu'il perdit l'assurance?Des grands présents qu'en espérance?Chaque Prince à sa fille offrait?(Ce dont il faisait le décompte),?Consentit bien à les unir,?Ainsi qu'il devait advenir?De la fa?on que je raconte.?Tout bon courtisan approuva,?Quoiqu'il en e?t de jalousie.?Il n'est royale fantaisie?Qu'on ne suive comme elle va:?Aussi fut-ce chants d'hymenée,?Fleurs en bouquets et compliments?Autour du réveil des amants?Et de leur grand'joie étonnée.
Les noces durèrent trois mois:?Il faudrait pour les conter telles?Les belles Muses immortelles?De Ronsard, le grand Vendomois.?Sachez seulement que la Reine?Et le Roi n'oublièrent pas?De faire prier au repas?La malicieuse Marraine.
MORALITé
Ce chemin de fleurs peut montrer,?Si ma fable vous embarrasse,?Qu'Amour laisse après soi sa trace;?Et d'où je veux encor tirer?Qu'Amour est chose si fleurie.?Qu'il ne se peut longtemps cacher,?Ni ses belles fleurs empêcher?D'être telles
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