Contes de la Montagne | Page 5

Erckmann-Chatrian
Nideck est d��moli depuis mille ans!...
--Eh bien ... quand il y aurait deux mille ans, fit le s��gare en se signant devant un nouvel ��clair, qu'est-ce que ?a prouve?... Puisque l'ame des ruines est en elle!... Il y a cent huit ans qu'Irmengarde vit avec cette ame ... qui ��tait avant chez la vieille Edith d'Haslach.... Avant Edith, elle ��tait chez une autre....
--Et tu crois cela?
--Si je le crois! C'est aussi s?r, ma?tre Bernard, que le soleil reviendra dans trois heures.... La mort, c'est la nuit.... La vie, c'est le jour.... Apr��s la nuit, vient le jour ... apr��s le jour, la nuit ... ainsi de suite. Et le soleil, c'est l'ame du ciel ... la grande ame ... et les ames des saints sont comme des ��toiles qui brillent dans la nuit et qui reviennent toujours.?
Bernard Hertzog ne dit plus rien; mais, s'��tant lev��, il se prit �� consid��rer avec d��fiance la vieille, assise au fond d'une niche taill��e dans le roc. Il aper?ut, au-dessus de cette niche, de grossi��res sculptures repr��sentant trois arbres entrelac��s, ce qui formait une sorte de couronne; et, plus bas, trois crapauds sculpt��s dans le granit.
Trois arbres sont les armes des Triboques (drayen b��chen); trois crapauds, les armes franques m��rovingiennes.
Qu'on juge de la surprise du vieux chroniqueur; �� l'��pouvante succ��dait, dans son esprit, la convoitise.
?Voici le plus antique monument de la race franque dans les Gaules, pensait-il, et cette vieille ressemble �� quelque reine d��chue, oubli��e l�� par les si��cles.... Mais comment emporter la niche??
Il devint tout r��veur.
On entendait alors, au fond des bois, le galop rapide d'un troupeau de gros b��tail, de sourds mugissements. La pluie redoublait; les ��clairs, comme une vol��e d'oiseaux effarouch��s dans les t��n��bres, se touchaient du bout de l'aile ... l'un n'attendait pas l'autre, et les roulements du tonnerre se succ��daient avec une fureur ��pouvantable.
Bient?t l'orage plana sur la gorge du Nideck, et les d��tonations, r��percut��es par les ��chos des rochers, prirent alors des proportions vraiment grandioses: on aurait dit que les montagnes s'��croulaient les unes sur les autres.
A chaque nouveau coup, l'oncle Bernard baissait instinctivement la t��te, croyant avoir re?u la foudre sur la nuque.
?Le premier Triboque qui se batit une butte n'��tait pas un sot, pensait-il; ce devait ��tre un homme de grand sens ... il pr��voyait les variations de la temp��rature! Que deviendrions-nous �� cette heure, et par un temps semblable, sous le ciel? Nous serions bien �� plaindre! L'invention de ce Triboque vaut bien celle des machines �� vapeur.... On aurait d? conserver son nom.?
Le digne homme terminait �� peine ces r��flexions, lorsqu'une jeune fille de quinze ans au plus, coiff��e d'un immense chapeau de paille en parapluie, la jupe de laine blanche toute ruisselante et ses petits pieds nus couverts de sable, s'avan?a sur le seuil et dit en se signant:
?Que le Seigneur vous b��nisse!
--Amen!? r��pondit Christian d'un accent solennel.
Cette jeune fille offrait le type Scandinave le plus pur: des couleurs roses sur un visage plus pale que la neige, de longues tresses flottantes si fines et si blanches, que la nuance paille la plus affaiblie en donnerait �� peine l'id��e. Elle ��tait haute et svelte, et son regard d'azur avait un charme inexprimable.
Ma?tre Bernard resta quelques instants en extase, et le s��gare, s'approchant de la jeune fille, lui dit avec douceur:
?Soyez la bienvenue, Fuldrade.... Irmengarde dort toujours.... Quel temps!... l'orage ne va-t-il pas se dissiper?
--Oui, le vent l'emporte vers la plaine.... La pluie finira avant le jour....?
Puis, sans regarder ma?tre Bernard, elle alla s'asseoir pr��s de la vieille, qui parut se ranimer.
?Fuldrade, dit-elle, la grande tour est encore debout?
--Oui!?
La vieille courba la t��te ... et ses l��vres s'agit��rent.
Apr��s les derniers coups de foudre, une pluie battante s'��tait mise �� tomber.... On n'entendait plus dans la vall��e t��n��breuse que ce clapotement immense, continu, de l'averse; le roulement des flots d��bord��s dans le ravin.... Puis d'instants en instants, quand la pluie semblait se ralentir, de nouvelles ond��es, plus rapides, plus imp��tueuses.
Au fond de la hutte, personne ne disait mot ... on ��coutait ... on se sentait heureux d'avoir un abri.
Dans l'intervalle de deux averses, le tintement sonore que l'oncle Bernard avait entendu dans la montagne, au moment de son r��veil, passa lentement sous la petite fen��tre de la hutte, et presque aussit?t une grosse t��te cornue, plaqu��e de taches noires et blanches ... la t��te d'une superbe g��nisse, s'avan?a sous la porte.
?H��! c'est Waldine, s'��cria Christian en riant.... Elle vous cherche, Fuldrade!?
La bonne b��te, calme et paisible, apr��s avoir regard�� quelques secondes, s'avan?a jusqu'au milieu de l'atre et vint flairer la vieille Irmengarde.
?Va-t'en, disait Fuldrade, va-t'en avec les autres.?
Et la g��nisse, ob��issante, retourna jusque sur le seuil de la scierie.... Mais l'eau qui tombait par torrent parut la faire r��fl��chir.... Elle resta l��, spectatrice du d��luge, balan?ant la queue et mugissant d'un air m��lancolique.
Au bout
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