Contes de la Montagne | Page 2

Erckmann-Chatrian
trace imperceptible.
C'est un spectacle m��lancolique que la venue du soir dans les montagnes: les ombres s'allongent au fond des vall��es, le soleil retire un �� un ses rayons du feuillage sombre, le silence grandit de seconde en seconde.... On regarde derri��re soi: les massifs prennent �� vos yeux des proportions colossales.... Une grive, �� la cime du plus haut sapin, salue le jour qui va dispara?tre ... puis tout se tait.... Vous entendez les feuilles mortes bruire sous vos pas, et tout au loin, bien loin ... une chute d'eau qui remplit la vall��e silencieuse de son bourdonnement monotone.
Bernard Hertzog ��tait haletant, la sueur coulait de son ��chine, ses jambes commen?aient a se roidir.
?Que le diable soit du Mercure gaulois! se disait-il; je devrais ��tre, �� cette heure, tranquillement assis dans mon fauteuil.... La vieille Berbel me servirait une tasse de caf�� bien chaud, selon sa louable habitude, et je terminerais mon chapitre des armes de Waldeck.... Au lieu de cela, je m'enfonce dans les orni��res, je tr��buche, je me perds et je finirai par me casser le cou.... Bon! ne l'ai-je pas dit?... Voil�� que je me cogne contre un arbre! Que les cinq cent mille diables emportent, ce Mercure ... et l'architecte Haas qui m'��crit de venir le voir ... et ceux qui l'ont d��terr��...--Vous verrez que ce fameux Mercure ne sera qu'une vieille pierre fruste, dont personne ne d��couvre le nez ni les jambes ... quelque chose d'informe, comme ce petit H��sus de l'ann��e derni��re �� Marienthal.... Oh! les architectes ... les architectes!... ils voient des antiquit��s partout.... Heureusement je n'avais pas mes lunettes, elles seraient aplaties ... mais je vais ��tre forc�� de dormir dans les broussailles.... Quel chemin! des trous de tous les c?t��s ... des fondri��res ... des rochers!?
Dans un de ces moments o�� le brave homme, ��puis�� de fatigue, faisait halte pour reprendre haleine, il crut entendre le grincement d'une scierie au fond de la vall��e. On ne saurait se peindre sa joie lorsqu'il ne conserva plus de doute sur la r��alit�� du fait.
?Que le ciel soit lou��! s'��cria-t-il en se remettant �� descendre clopin-clopant.... Oh! ceci me servira de le?on.... La Providence a eu piti�� de mon rhumatisme.... Vieux fou! m'exposer �� coucher dans les bois �� mon age.... C'��tait pour me ruiner la sant�� ... pour m'exterminer le temp��rament.... Ah! je m'en souviendrai ... je m'en souviendrai longtemps!?
Au bout d'un quart heure, le bruit de l'eau qui tombait de l'��cluse devint plus distinct ... puis une lumi��re per?a le feuillage.
Ma?tre Bernard se trouvait alors sur la lisi��re du bois; il d��couvrit, au-dessus des bruy��res, un ��tang qui suivait la vall��e tortueuse �� perte de vue, et tout en face de lui, l'��chafaudage de l'usine, avec ses longues poutres noires allant et venant dans l'ombre comme une araign��e gigantesque.
Il traversa le pont de bois en dos d'ane au-dessus de l'��cluse mugissante, et regarda par la petite fen��tre dans la hutte du s��gare.
Imaginez un r��duit obscur adoss�� contre une roche en demi-vo?te.... Au fond de cette cavit�� naturelle, la sciure de bois br?lait �� petit feu.... Sur le devant, la toiture en planches, charg��e de lourdes pierres, descendait obliquement �� trois pieds du sol.... Dans un coin �� gauche, se trouvait une caisse remplie de bruy��res.... Quelques blocs de ch��ne, une hache, un banc massif et d'autres ustensiles se perdaient dans l'ombre. L'odeur r��sineuse du sapin en combustion impr��gnait l'air aux alentours, et la fum��e rougeatre suivait une fissure du rocher.
Tandis que le bonhomme contemplait ces choses, le s��gare sortant de la scierie l'aper?ut et lui cria:
?H��! qui est l��?
--Pardon ... pardon ... dit mon digne oncle tout surpris ... un voyageur ��gar��....
--H��! interrompit l'autre, Dieu me pardonne ... c'est ma?tre Bernard de Saverne.... Soyez le bienvenu, ma?tre Bernard!.... Vous ne me reconnaissez donc pas?
--Mon Dieu non ... au milieu de cette nuit profonde....
--Parbleu, c'est juste ... je suis Christian.... Vous savez, Christian ... qui vous apporte votre provision de tabac de contrebande tous les quinze jours!.... Mais, entrez ... entrez ... nous allons faire de la lumi��re.?
Ils pass��rent alors, en se courbant, sous la petite porte basse, et le s��gare ayant allum�� une branche de pin, la ficha dans un piquet fendu servant de cand��labre.... Une lumi��re blanche comme le reflet de la lune aux froides nuits d'hiver ��claira la hutte, fouillant ses recoins jusqu'�� la cime du toit.
Ce Christian, en manches de chemise, la poitrine nue, le pantalon de toile grise serr�� autour des reins, avait l'air assez bonhomme; sa barbe jaune lui descendait en pointe jusqu'�� la ceinture; sa t��te large et musculeuse ��tait couronn��e d'une chevelure rousse h��riss��e; ses yeux gris exprimaient la franchise.
?Asseyez-vous, ma?tre, dit-il en roulant un bloc de ch��ne devant la chemin��e.... Avez-vous faim?
--H��! mon gar?on, tu sais que le grand air creuse l'estomac.
--Bon, vous tombez
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