Contes de la Becasse | Page 8

Guy de Maupassant
descendit en jupe de laine. Ce fut une d��solation et une terreur. On avait vol��, vol�� Mme Lef��vre! Donc, on volait dans le pays, puis on pouvait revenir.
Et les deux femmes effar��es contemplaient les traces de pas, bavardaient, supposaient des choses: ?Tenez, ils ont pass�� par l��. Ils ont mis leurs pieds sur le mur; ils ont saut�� dans la plate-bande.?
Et elles s'��pouvantaient pour l'avenir. Comment dormir tranquilles maintenant!
Le bruit du vol se r��pandit. Les voisins arriv��rent, constat��rent, discut��rent �� leur tour; et les deux femmes expliquaient �� chaque nouveau venu leurs observations et leurs id��es.
Un fermier d'�� c?t�� leur offrit ce conseil: ?Vous devriez avoir un chien.?
C'��tait vrai, cela; elles devraient avoir un chien, quand ce ne serait que pour donner l'��veil. Pas un gros chien, Seigneur! Que feraient-elles d'un gros chien! Il les ruinerait en nourriture. Mais un petit chien (en Normandie, on prononce quin), un petit freluquet de quin qui jappe.
D��s que tout le monde fut parti, Mme Lef��vre discuta longtemps cette id��e de chien. Elle faisait, apr��s r��flexion, mille objections, terrifi��e par l'image d'une jatte pleine de pat��e; car elle ��tait de cette race parcimonieuse de dames campagnardes qui portent toujours des centimes dans leur poche pour faire l'aum?ne ostensiblement aux pauvres des chemins, et donner aux qu��tes du dimanche.
Rose, qui aimait les b��tes, apporta ses raisons et les d��fendit avec astuce. Donc il fut d��cid�� qu'on aurait un chien, un tout petit chien.
On se mit �� sa recherche, mais on n'en trouvait que des grands, des avaleurs de soupe �� faire fr��mir. L'��picier de Rolleville en avait bien un, un tout petit; mais il exigeait qu'on le lui payat deux francs, pour couvrir ses frais d'��levage. Mme Lef��vre d��clara qu'elle voulait bien nourrir un ?quin?, mais qu'elle n'en ach��terait pas.
Or, le boulanger, qui savait les ��v��nements, apporta, un matin, dans sa voiture, un ��trange petit animal tout jaune, presque sans pattes, avec un corps de crocodile, une t��te de renard et une queue en trompette, un vrai panache, grand comme tout le reste de sa personne. Un client cherchait �� s'en d��faire. Mme Lef��vre trouva fort beau ce roquet immonde, qui ne co?tait rien. Rose l'embrassa, puis demanda comment on le nommait. Le boulanger r��pondit: ?Pierrot.?
Il fut install�� dans une vieille caisse �� savon et on lui offrit d'abord de l'eau �� boire. Il but. On lui pr��senta ensuite un morceau de pain. Il mangea. Mme Lef��vre, inqui��te, eut une id��e: ?Quand il sera bien accoutum�� �� la maison, on le laissera libre. Il trouvera �� manger en r?dant par le pays.?
On le laissa libre, en effet, ce qui ne l'emp��cha point d'��tre affam��. Il ne jappait d'ailleurs que pour r��clamer sa pitance; mais, dans ce cas, il jappait avec acharnement.
Tout le monde pouvait entrer dans le jardin. Pierrot allait caresser chaque nouveau venu, et demeurait absolument muet.
Mme Lef��vre cependant s'��tait accoutum��e �� cette b��te. Elle en arrivait m��me �� l'aimer, et �� lui donner de sa main, de temps en temps, des bouch��es de pain tremp��es dans la sauce de son fricot.
Mais elle n'avait nullement song�� �� l'imp?t, et quand on lui r��clama huit francs,--huit francs, madame!--pour ce freluquet de quin qui ne jappait seulement point, elle faillit s'��vanouir de saisissement.
Il fut imm��diatement d��cid�� qu'on se d��barrasserait de Pierrot. Personne n'en voulut. Tous les habitants le refus��rent �� dix lieues aux environs. Alors on se r��solut, faute d'autre moyen, �� lui faire ?piquer du mas?.
?Piquer du mas?, c'est ?manger de la marne?. On fait piquer du mas �� tous les chiens dont on veut se d��barrasser.
Au milieu d'une vaste plaine, on aper?oit une esp��ce de hutte, ou plut?t un tout petit toit de chaume, pos�� sur le sol. C'est l'entr��e de la marni��re. Un grand puits tout droit s'enfonce jusqu'�� vingt m��tres sous terre, pour aboutir �� une s��rie de longues galeries de mines.
On descend une fois par an dans cette carri��re, �� l'��poque o�� l'on marne les terres. Tout le reste du temps, elle sert de cimeti��re aux chiens condamn��s; et souvent, quand on passe aupr��s de l'orifice, des hurlements plaintifs, des aboiements furieux ou d��sesp��r��s, des appels lamentables montent jusqu'�� vous.
Les chiens des chasseurs et des bergers s'enfuient avec ��pouvante des abords de ce trou g��missant; et, quand on se penche au-dessus, il sort de l�� une abominable odeur de pourriture.
Des drames affreux s'y accomplissent dans l'ombre.
Quand une b��te agonise depuis dix �� douze jours dans le fond, nourrie par les restes immondes de ses devanciers, un nouvel animal, plus gros, plus vigoureux certainement, est pr��cipit�� tout �� coup. Ils sont l��, seuls, affam��s, les yeux luisants. Ils se guettent, se suivent, h��sitent, anxieux. Mais la faim les presse: ils s'attaquent, luttent longtemps, acharn��s; et le plus fort mange le plus faible, le d��vore vivant.
Quand il fut d��cid�� qu'on ferait ?piquer du
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