que le confesseur
lui-même de la dame ne put que l'en absoudre chaque semaine. C'était là vraiment le
minimum de l'adultère, devant le bon Dieu. Du reste, la passion de ces deux êtres
charmants l'un pour l'autre montait de jour en jour à l'inassouvissable et passait les rêves
de poètes. Anacréon s'y noyait dans le lac de Lamartine.
Qui l'eût cru? Arpajou, lui aussi, aimait sa femme. Mari stupide, il ressentait sa honte et
remâchait son malheur. Dépossédé d'un bien sur lequel il s'arrogeait vingt droits légitimes
et qu'il ne partageait même plus avec son voleur, il ne put résister à son réel martyre, il
tua l'amant de sa femme. Un duel fut le prétexte de cet assassinat. A dater du jour où elle
n'eut plus cet amant pour vivre, Delphine cessa pour ainsi dire d'être femme. Elle ne
descella plus les lèvres. Muette, fantômatique, hagarde, elle vieillissait chaque jour d'un
an, et le triste Arpajou trépassa de douleur à son tour sans avoir réentendu la voix, sans
avoir revu le regard de l'implacable désolée.
Ce fut alors que, doublement veuve, Delphine versa dans la dévotion et, selon le mot de
son directeur de conscience, s'abîma en Dieu. Mais la piété entraîne au mysticisme, et l'on
sait que, du domaine de la foi au domaine des sciences occultes, la limite flotte indécise.
C'est au pied des autels flamboyants, dans les confessionnaux chuchotants, parmi les
aromates hallucinatoires et sous le vent des orgues que les doctrinaires de la
psychomancie recrutent le plus grand nombre de leurs prosélytes. Et l'heure sonna au
cadran de la logique où ma vieille amie Mme Arpajou se mit, au sortir des offices et
communion reçue, à faire tourner des tables. Je la rencontrai à cette époque. Curieux de
frotter mon scepticisme aux phénomènes de l'au-delà, je hantais dans le monde spirite. En
outre, j'avais beaucoup connu l'amant dont la perte enténébrait cette âme, et le hasard
d'une causerie le lui ayant appris, elle avait accroché son éternelle douleur à mes
souvenirs de jeunesse.
Un jour elle me parla franchement de lui. Elle m'avoua qu'elle était en communication
constante avec l'esprit du bien-aimé. Il ne la quittait pour ainsi dire point, flottant autour
d'elle, et l'enveloppant de sa présence impalpable.
--Non seulement, me dit-elle, il n'a point cessé de m'aimer, mais il m'aime de plus en plus,
il me désire, il m'appelle, il m'attire, il pleure, et son désespoir me laisse brisée. Je ne
tarderai point à le rejoindre, je le sens et l'espère.
Je lui donnai à observer que, pour que son départ fût efficace et suivi d'une bonne arrivée,
il convenait d'abord de savoir en quel lieu de l'au-delà le cher amant résidait, et qu'il y
allait de leur réunion.
--Selon la foi que vous confessez, fis-je, et qui est la bonne, il y a là-haut deux séjours
bien distincts pour les âmes désincorporées, et il n'y en a que deux qui sont: le paradis et
l'enfer. Tâchez donc de savoir de lui-même où il se trouve, soit dans quelle partie du sein
d'Abraham, afin de ne pas faire fausse route en vous en allant et de ne pas vous courir
après, l'un et l'autre, pendant toute l'éternité.
--Ah! certes, me jeta-t-elle, il est au paradis! car l'amour a de ces cris sublimes.
Or, à quelque temps de là, Mme Arpajou me pria de passer chez elle. Je l'y trouvai
malade, les yeux rougis par une nuit de larmes, et dans un tel état de prostration qu'il me
fut impossible de composer mon visage pour lui céler ma pitié.
--Hélas! sanglota la pauvre mourante, il souffre, il crie, il brûle, et c'est à cause de moi.
Le crime qu'il expie, seule j'en suis la cause et l'objet. Damné mon ami, il est damné! Et
moi aussi, voyez, je vais mourir!
Elle se tordait les mains, elle roulait sur les oreillers sa tête échevelée.
--Je ne le reverrai plus, cria-t-elle, jamais, jamais! jamais!
Que dire, qu'eussiez-vous dit, pour apaiser un telle angoisse, et quel coeur de roc n'en eût
été bouleversé? Un mot, un seul mot, pouvait lui rendre l'espérance, mot impie, il est vrai,
mot à compromettre soi-même le salut de sa propre âme, mot diabolique enfin qu'un
Voltaire n'eût pas retenu peut-être, mais est-on Voltaire?
--Ne plus le revoir, lâchai-je hors de moi, ne plus le revoir?... Qui vous en empêche?
Elle se dressa, me regarda, béante..., et je m'enfuis, épouvanté du moyen que je venais de
suggérer à cette ouaille fidèle de notre très sainte Église. Afin de se réunir à son
bien-aimé, il fallait ... oui, il fallait aller délibérément là ... où il était ... vous savez où!
Le lendemain, je reçus de Mme Arpajou un billet que j'ai gardé, et que je transcris:
«Venez, je me meurs. J'ai à vous parler.--Delphine.»
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