Contes de Caliban | Page 8

Émile Bergerat
montra un petit gu��ridon �� trois pieds, sur lequel s'��talaient des photographies de mon camarade de jeunesse, l'homme aim�� pour lequel elle avait ��t�� faite par Dieu lui-m��me et qui l'attendait.
--Il ne souffre plus. Il ne pleure plus, il ne sent plus les flammes, m'expliquait-elle; il est l��, au pied de mon lit, pr��t �� m'emporter, tremblant de joie.... Je le vois.
Ma responsabilit�� m'apparut terrible, je l'avoue, et je voulus la d��gager, car elle augmentait mon compte, d��j�� si lourd, d'incr��dule adonn�� aux philosophies du doute exp��rimental. Elle comprit mon trouble profond, et elle reprit:
--Rassurez-vous. C'est une autre communication qui m'a d��cid��e, car, hier, apr��s votre d��part, j'h��sitais encore. La chr��tienne convaincue qui est en moi, et qui y reste encore obstin��ment, n'��tait pas ��clair��e par la lumi��re de l'au-del��. J'ai ��voqu�� la puissance astrale qui guide ma religion m��me et qui l'assure des v��rit��s du dogme r��v��l��. Elles m'ont appris que si mon doux amant, si bon, si noble, si fid��le, endure, �� cause de notre amour, les supplices de la g��henne dantesque, par contre, mon odieux et d��testable mari a ��t�� recueilli dans les zones paradisiaques et plac�� parmi les anges pour son martyre conjugal et ses d��boires. Sachant ceci �� n'en point douter, ma r��solution a ��t�� prise, et j'ai cong��di�� le pr��tre, vraiment trop dur, qui mena?ait, par une absolution intempestive, de me remettre en pr��sence de mon bourreau et de son assassin, l'intol��rable Arpajou....
Sur ce nom, elle expira et je n'eus que le temps de recevoir dans mes bras sa belle t��te aux tempes blanchies.
Un mois apr��s, j'appris par une table tournoyante que ma vieille amie avait eu raison de croire en la bont�� de Dieu et �� sa justice. Elle me r��v��la qu'elle nageait en paradis avec mon camarade de coll��ge, et que c'��tait Arpajou qui grillait en enfer,--et j'abandonnai mes recherches de psychomancie.

L'��TRANGL�� HILARE
L'histoire n'est pas seulement v��ridique, elle est vraisemblable; mais je ne me dissimule pas que, pour la bien narrer, il y faudrait un de ces ironistes d'��lite, h��ritier de Jonathan Swift, de Mark Twain et de notre Villiers de l'Isle-Adam. Qu'on m'excuse de m'essayer �� leur mani��re. Ce conte justifie l'audace.
Lorsqu'�� l'arriv��e en gare du train 1227, qui est express s'il en fut, le surveillant pr��pos�� �� la revue des wagons trouva, dans le compartiment 184, un voyageur visiblement feu, d��funt et, tranchons le mot, ��trangl��, il e?t fallu la collaboration id��ale d'Alphonse Allais, de George Auriol, de Tristan Bernard et de Jean Goudeszki pour d��peindre la stupeur de ce fonctionnaire. Le mort ��tait rest�� dans une attitude surprenante. Enfonc�� dans son coin, le visage renvers��, les poings sur les hanches, les jambes en l'air, il semblait encore se tordre de rire, et c'��tait presqu'une consolation �� la tristesse du spectacle que de se dire: en voil�� un du moins qui aura ��t�� assassin�� gaiement! Du reste, si le meurtre, constat�� par le m��decin de la gare, ��tait indubitable, la cause du meurtre, absolument incompr��hensible, ��chappait au commissaire, pourtant sagace entre les sagaces, qui avait explor�� les poches et la valise de l'��trangl�� hilare. On retrouva sur son cadavre convulsif le porte-monnaie, la montre, le portefeuille avec les cartes, la carte d'��lecteur, les lettres et le ticket qui permirent de reconstituer son identit��. C'��tait un nomm�� Dupont, rentier, boursier et c��libataire, que ses amis reconnurent et identifi��rent tout de suite, et sur le compte duquel ils furent unanimes. Il ��tait, dirent-ils, d'une force prodigieuse, et pouvait, dans une agression, tenir t��te �� dix hommes rabl��s.--Oui, mais l'hercule n'en gisait pas moins strangul�� et dans la pose bizarre que j'ai dite, exhilarante.
Quel ��tait donc ce myst��re? La police chercha �� l'��claircir, ai-je besoin de vous l'apprendre, par tous les moyens d'investigation ordinaires et extraordinaires dont elle use, et, au bout d'un mois, elle ��tait encore b��jaune. Il faut mettre �� sa d��charge que l'assassin n'avait pas laiss�� plus de traces de son entit�� que le poisson dans l'eau courante. Le seul indice que l'on e?t, bien vague, s'estompait dans une remarque de l'employ�� charg�� de la r��ception des billets �� la sortie des voyageurs. Ce commis croyait se souvenir que l'un des voyageurs sortants, individu ch��tif et rabougri qu'on e?t abattu d'un souffle, s'��tait pr��sent�� �� la porte, la t��te emmitoufl��e sous le tube d'un foulard rose et avec l'aspect caricaturalement douloureux, ou, si l'on veut, douloureusement caricatural, que les images pr��tent aux gens tortur��s par une odontalgie.
...Il va de soi qu'il n'y avait aucun parti �� tirer d'une observation aussi banale: un Edgard Po? lui-m��me l'e?t n��glig��e. Aucun agent ne voulut s'��lancer sur une pareille piste, propre �� d��router de braves Mohicans dress��s �� la chasse �� l'homme �� travers les hautes herbes du maquis social.
C'��tait un tort, et cette trace impossible ��tait la bonne. Tant il est vrai que
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