Contes choisis de la famille | Page 8

Les frères Grimm
se fût agi d'une
sortie contre l'ennemi; puis enfin parurent, en grand costume et revêtus de leur écharpe,
les conseillers de la commune avec le bourgmestre en tête. Après s'être mis en rang sur la
place, ils s'avancèrent militairement vers la grange qu'ils cernèrent de tous côtés. Alors le
plus courageux de la troupe sortit du cercle, et se risqua à pénétrer dans la grange, la
pique en avant; mais on l'en vit ressortir aussitôt à toutes jambes, pâle comme la mort, et
poussant de grands cris.
Deux autres bourgeois intrépides osèrent encore après lui tenter l'aventure, mais ils ne
réussirent pas mieux.
A la fin, on vit se présenter un homme d'une stature colossale et d'une force prodigieuse.
C'était un ancien soldat qui, par sa bravoure, s'était fait une réputation à la guerre.
--Ce n'est pas en allant vous montrer les uns après les autres, dit-il, que vous parviendrez
à vous débarrasser du monstre; il s'agit ici d'employer la force, mais je vois avec peine
que la peur a fait de vous autant de femmes.
Cela dit, notre valeureux guerrier se fit apporter cuirasse, glaive et lance, puis il s'arma en
guerre.

Chacun vantait son courage, quoique presque tous fussent persuadés qu'il courait à une
mort certaine.
Les deux portes de la grange furent ouvertes, et l'on put voir alors la chouette qui était
allée se poser sur une poutre du milieu. Le soldat se décida à monter à l'assaut. En
conséquence, on lui apporta une échelle qu'il plaça contre la poutre.
Au moment où il s'apprêtait à monter, ses camarades lui crièrent en coeur de se conduire
en homme; puis, ils le recommandèrent à saint Georges qui, chacun le sait, dompta jadis
le dragon.
Quand il fut parvenu aux trois quarts de l'échelle, la chouette qui s'aperçut qu'on en
voulait à sa noble personne, et que d'ailleurs les clameurs de la foule avait effarouchée, ne
sachant de quel côté s'enfuir, se mit soudain à rouler de grands yeux, hérissa ses plumes,
déploya ses vastes ailes, déserra son bec hideux, et poussa trois cris sauvages, d'une voix
rauque et effrayante.
--Frappez-la de votre lance! s'écrièrent au même instant du dehors les bourgeois
électrisés.
--Je voudrais bien vous voir à ma place, répondit le belliqueux aventurier; je gage
qu'alors vous ne seriez pas si braves.
Toutefois, il monta encore d'un degré sur l'échelle; après quoi, la peur s'empara de lui, si
bien qu'il lui resta tout au plus assez de force pour redescendre jusqu'au bas.
Dès lors, il ne se trouva plus personne pour affronter le danger.
--Au moyen de sa seule haleine et par la fascination de son regard, disaient-ils tous, cet
horrible monstre a pénétré de son venin et blessé à mort le plus robuste d'entre nous; à
quoi nous servirait donc de nous exposer à une mort certaine?
D'accord sur ce point, ils tinrent conseil à l'effet de savoir ce qu'il y avait à faire pour
préserver la ville d'une ruine imminente. Pendant longtemps tous les moyens avaient été
jugés insuffisants, lorsqu'enfin par bonheur le bourgmestre eut une idée.
--Mon avis est, dit ce respectable citoyen, que nous dédommagions, au nom de la
commune, le propriétaire de cette grange; que nous lui payions la valeur de tous les sacs
d'orge et de blé qu'elle renferme; puis, que nous y mettions le feu, aux quatre coins, ce
qui ne coûtera la vie à personne. Ce n'est pas dans une circonstance aussi périlleuse qu'il
faut se montrer avare des deniers publics; et d'ailleurs il s'agit ici du salut commun.
L'avis du bourgmestre fut adopté à l'unanimité.
En conséquence, le feu fut mis aux quatre coins de la grange, qui bientôt fut entièrement
consumée, tandis que la chouette s'envolait par le toit.
Si vous doutez de la vérité de ce récit, allez sur les lieux vous en informer vous-même.

LES TROIS FRÈRES.
Un vieillard avait trois fils, mais comme il ne possédait pour tout bien qu'une maison, et
que cette maison lui avait été léguée par son père, il ne pouvait se résoudre à la vendre
pour en partager le produit entre ses enfants. Dans cette incertitude, il lui vint une bonne
idée:
--Risquez-vous par le monde, leur dit-il un jour; allez apprendre chacun un métier qui
vous fasse vivre, et, votre apprentissage terminé, hâtez-vous de revenir; celui qui me
donnera alors la preuve la plus convaincante de son savoir-faire, héritera de ma maison.
En conséquence, le départ des trois fils fut arrêté. Ils décidèrent qu'ils deviendraient, l'un
maréchal-ferrant, l'autre barbier, et le troisième maître d'armes.

Ils fixèrent ensuite un jour et une heure où ils se retrouveraient dans la suite, pour revenir
ensemble sous le toit paternel. Ces conventions arrêtées, ils partirent.
Or, il arriva que les trois frères eurent le bonheur de rencontrer chacun un maître
consommé dans le
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