Contes choisis de la famille | Page 9

Les frères Grimm
métier qu'ils voulaient apprendre. C'est ainsi que notre
maréchal-ferrant ne tarda pas à être chargé de ferrer les chevaux du roi; aussi pensa-t-il
dans sa barbe:
--Mes frères seront bien habiles s'ils me disputent la maison.
De son côté, le jeune barbier eut bientôt pour pratiques les plus grands seigneurs de la
cour, si bien qu'il se flattait aussi d'hériter de la maison à la barbe de ses frères.
Quant au maître d'armes, avant de connaître tous les secrets de son art, il dut recevoir
plus d'un bon coup d'estoc et de taille; mais la récompense promise soutenait son courage,
en même temps qu'il exerçait son oeil et sa main.
Quand l'époque fixée pour le retour fut arrivée, les trois frères se réunirent à l'endroit
convenu, puis ils regagnèrent ensemble la maison de leur père.
Le soir même de leur retour, tandis qu'ils étaient assis tous quatre devant la porte, ils
aperçurent un lièvre qui accourait à travers champs de leur côté.
--Bravo! dit le barbier, voici une pratique qui vient fort à propos pour me fournir
l'occasion de montrer mon savoir-faire!
En prononçant ces mots, notre homme prenait savon et bassin et préparait sa blanche
mousse.
Quand le lièvre fut parvenu à proximité, il courut à sa poursuite, le rejoignit, et tout en
galopant de concert avec le léger animal, il lui barbouilla le nez de savon, puis d'un seul
coup de raseoir il lui enleva la moustache, sans lui faire la plus petite coupure, et sans
oublier le plus petit poil.
--Voilà qui est travaillé! dit le père, il faudra que tes frères soient bien habiles pour te
disputer la maison.
Quelques moments après, on vit arriver à toute bride un cheval fringant attelé à une
légère voiture.
--Je sais vous donner un échantillon de mon adresse, dit à son tour le maréchal-ferrant.
A ces mots, il s'élança sur la trace du cheval, et bien que celui-ci redoublât de vitesse, il
lui enleva les quatre fers auquel il en substitua quatre autres; et tout cela en moins d'une
minute, le plus aisément du monde et sans ralentir la course du cheval.
--Tu es un artiste accompli, s'écria le père; tu es aussi sûr de ton affaire, que ton frère l'est
de la sienne; et je ne saurais en vérité décider lequel de vous deux mérite le plus la
maison.
--Attendez que j'aie aussi fait mes preuves, dit alors le troisième fils.
La pluie commençait à tomber en ce moment.
Notre homme tira son épée, et se mit à en décrire des cercles si rapides au-dessus de sa
tête, que pas une seule goutte d'eau ne tomba sur lui; la pluie redoublant de force, ce fut
bientôt comme si on la versait à seaux des hauteurs du ciel. Cependant notre maître
d'armes qui s'était borné à agiter son épée toujours plus vite, demeurait à sec sous son
arme, comme s'il eût été sous un parapluie ou sous un toit.
A cette vue, l'admiration de l'heureux père fut au comble, et il s'écria:
--C'est toi qui as donné la preuve d'adresse la plus étonnante; c'est à toi que revient la
maison.
Les deux fils aînés approuvèrent cette décision, et joignirent leurs éloges à ceux de leur

père. Ensuite, comme ils s'aimaient tous trois beaucoup, ils ne voulurent pas se séparer, et
continuèrent de vivre ensemble dans la maison paternelle, où ils exercèrent chacun leur
métier. Leur réputation d'habileté s'étendit au loin, et ils devinrent bientôt riches. C'est
ainsi qu'ils vécurent heureux et considérés jusqu'à un âge très-avancé; et lorsqu'enfin
l'aîné tomba malade et mourut, les deux autres en prirent un tel chagrin qu'ils ne tardèrent
pas à le suivre.
On leur rendit les derniers devoirs. Le pasteur de la commune fit observer avec raison que
trois frères qui, pendant leur vie avaient été doués d'une si grande adresse et unis par une
si touchante amitié, ne devaient pas non plus être séparés dans la mort. En conséquence,
on les plaça tous trois dans le même tombeau.

L'AÏEUL ET LE PETIT-FILS.
Il y avait une fois un homme vieux, vieux comme les pierres. Ses yeux voyaient à peine,
ses oreilles n'entendaient guère, et ses genoux chancelaient. Un jour, à table, ne pouvant
plus tenir sa cuiller, il répandit de la soupe sur la nappe, et même un peu sur sa barbe.
Son fils et sa bru en prirent du dégoût, et désormais le vieillard mangea seul, derrière le
poêle, dans un petit plat de terre à peine rempli. Aussi regardait-il tristement du côté de la
table, et des larmes roulaient sous ses paupières; si bien qu'un autre jour, échappant à ses
mains tremblantes, le plat se brisa sur le parquet.
Les jeunes gens le grondèrent, et le vieillard poussa un soupir; alors ils lui donnèrent pour
manger une écuelle de bois.
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