qui m'ont cassé leurs bâtons sur le dos.
--Pourquoi votre seigneurie est-elle si insatiable? répondit le renard.
Le lendemain, les deux compagnons se mirent pour la troisième fois en campagne, et,
bien que le loup ne pût encore marcher que clopin clopant, s'adressant de nouveau au
renard:
--Ami à la barbe rouge, lui dit-il, mets-toi en quête de me procurer un bon morceau; sinon
je te croque.
Le renard s'empressa de répondre.
--Je connais un homme qui vient de saler un porc; le lard savoureux se trouve en ce
moment dans un tonneau de sa cave; si vous voulez, nous irons en prélever notre part?
--J'y consens, répliqua le loup, mais j'entends que nous y allions ensemble, pour que tu
puisses me prêter secours en cas de malheur.
--De tout mon coeur, reprit le rusé renard.
Et il se mit immédiatement en devoir de conduire le loup par une foule de détours et de
sentiers jusque dans la cave annoncée.
Ainsi que le renard l'avait prédit, jambon et lard se trouvaient là en abondance. Le loup
fut bientôt à l'oeuvre:
--Rien ne nous presse, dit-il, donnons-nous-en donc tout à notre aise!
Maître renard se garda bien d'interrompre son compagnon dans ses fonctions gloutonnes:
mais quant à lui, il eut toujours l'oeil et l'oreille au guet; de plus, chaque fois qu'il avait
avalé un morceau, il s'empressait de courir à la lucarne par laquelle ils avaient pénétré
dans la cave, afin de prendre la mesure de son ventre.
Étonné de ce manège, le loup lui dit entre deux coups de dents.
--Ami renard, explique-moi donc pourquoi tu perds ainsi ton temps à courir de droite à
gauche, puis à passer et à repasser par ce trou?
--C'est pour m'assurer que personne ne vient, reprit le rusé renard. Que votre seigneurie
prenne seulement garde de se donner une indigestion.
--Je ne sortirai d'ici, répliqua le loup, que lorsqu'il ne restera plus rien dans le tonneau.
Dans l'intervalle, arriva le paysan, attiré par le bruit que faisaient les bonds du renard. Ce
dernier n'eut pas plutôt aperçu notre homme, qu'en un saut il fut hors de la cave; sa
seigneurie le loup voulut le suivre, mais par malheur, il avait tant mangé que son ventre
ne put passer par la lucarne, et qu'il y resta suspendu. Le paysan eut donc tout le temps
d'aller chercher une fourche dont il perça le pauvre loup.
Sans sa gloutonnerie, se dit le renard, en riant dans sa barbe, je ne serais pas encore
débarrassé de cet importun compagnon.
LA CHOUETTE.
Il y a environ quelques siècles, lorsque les hommes n'étaient pas encore aussi fins et aussi
rusés qu'ils le sont aujourd'hui, il arriva une singulière histoire dans je ne sais plus qu'elle
petite ville, fort peu familiarisée, comme on va le voir, avec les oiseaux nocturnes.
A la faveur d'une nuit très-obscure, une chouette, venue d'une forêt voisine, s'était
introduite dans la grange d'un habitant de la petite ville en question, et, quand reparut le
jour, elle n'osa pas sortir de sa cachette, par crainte des autres oiseaux qui n'auraient pas
manqué de la saluer d'un concert de cris menaçants.
Or, il arriva que le domestique vint chercher une botte de paille dans la grange; mais à la
vue des yeux ronds et brillants de la chouette tapie dans un coin, il fut saisi de frayeur,
qu'il prit ses jambes à son cou, et courut annoncer à son maître qu'un monstre comme il
n'en avait encore jamais vu se tenait caché dans la grange, qu'il roulait dans ses orbites
profondes des yeux terribles, et qu'à coup sûr cette bête avalerait un homme sans
cérémonie et sans difficulté.
--Je te connais, beau masque, lui répondit son maître; s'il ne s'agit que de faire la chasse
aux merles dans la plaine, le coeur ne te manque pas; mais aperçois-tu un pauvre coq
étendu mort contre terre, avant de t'en approcher, tu as soin de t'armer d'un bâton. Je veux
aller voir moi-même à quelle espèce de monstre nous allons avoir affaire.
Cela dit, notre homme pénétra d'un pied hardi dans la grange, et se mit à regarder en tous
sens.
Il n'eut pas plutôt vu de ses propres yeux l'étrange et horrible bête, qu'il fut saisi d'un
effroi pour le moins égal à celui de son domestique. En deux bonds il fut hors de la
grange, et courut prier ses voisins de vouloir bien lui prêter aide et assistance contre un
monstre affreux et inconnu:
--Il y va de votre propre salut, leur dit-il; car si ce terrible animal parvient à s'évader de
ma grange, c'en est fait de la ville entière!
En moins de quelques minutes, des cris d'alarme retentirent par toutes les rues; les
habitants arrivèrent armés de piques, de fourches et de faux, comme s'il
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