Contes choisis de la famille | Page 5

Les frères Grimm
peine qu'il méritait.
Et c'est ainsi que le soleil, qui voit tous les crimes, finit toujours par en rendre
témoignage.

LE DOCTEUR UNIVERSEL.
Il y avait une fois un paysan nommé Écrevisse. Ayant porté une charge de bois chez un
docteur, il remarqua les mets choisis et les vins fins dont se régalait celui-ci, et demanda,
en ouvrant de grands yeux, s'il ne pourrait pas aussi devenir docteur?
--Oui certes, répondit le savant; il suffit pour cela de trois choses: 1° procure-toi un
abécédaire, c'est le principal; 2° vends ta voiture et tes boeufs pour acheter une robe et
tout ce qui concerne le costume d'un docteur; 3° mets à ta porte une enseigne avec ces
mots: Je suis le docteur universel.
Le paysan exécuta ces instructions à la lettre. A peine exerçait-il son nouvel état, qu'une
somme d'argent fut volée à un riche seigneur du pays. Ce seigneur fait mettre les chevaux
à sa voiture et vient demander à notre homme s'il est bien le docteur universel.
--C'est moi-même, monseigneur.
--En ce cas, venez avec moi pour m'aider à retrouver mon argent.
--Volontiers, dit le docteur; mais Marguerite, ma femme, m'accompagnera.
Le seigneur y consentit, et les emmena tous deux dans sa voiture. Lorsqu'on arriva au
château, la table était servie, le docteur fut invité à y prendre place.
--Volontiers, répondit-il encore; mais Marguerite, ma femme, y prendra place avec moi.
Et les voilà tous deux attablés.
Au moment où le premier domestique entrait, portant un plat de viande, le paysan poussa
sa femme du coude, et lui dit:
--Marguerite, celui-ci est le premier.
Il voulait dire le premier plat; mais le domestique comprit: le premier voleur; et comme il
l'était en effet, il prévint en tremblant ses camarades.
--Le docteur sait tout! notre affaire n'est pas bonne; il a dit que j'étais le premier!
Le second domestique ne se décida pas sans peine à entrer à son tour; à peine eut-il
franchi la porte avec son plat, que le paysan, poussant de nouveau sa femme:
--Marguerite, voici le second.
Le troisième eut la même alerte, et nos coquins ne savaient plus que devenir. Le
quatrième s'avance néanmoins, portant un plat couvert (c'étaient des écrevisses). Le
maître de la maison dit au docteur:

--Voilà une occasion de montrer votre science. Devinez ce qu'il y a là-dedans.
Le paysan examine le plat, et, désespérant de se tirer d'affaire:
--Hélas! soupire-t-il, pauvre Écrevisse! (On se rappelle que c'était son premier nom.)
A ces mots, le seigneur s'écrie:
--Voyez-vous, il a deviné! Alors il devinera qui a mon argent!
Aussitôt le domestique, éperdu, fait signe au docteur de sortir avec lui. Les quatre fripons
lui avouent qu'ils ont dérobé l'argent, mais qu'ils sont prêts à le rendre et à lui donner une
forte somme s'il jure de ne les point trahir; puis ils le conduisent à l'endroit où est caché le
trésor. Le docteur, satisfait, rentre, et dit:
--Seigneur, je vais maintenant consulter mon livre, afin d'apprendre où est votre argent.
Cependant un cinquième domestique s'était glissé dans la cheminée pour voir jusqu'où
irait la science du devin. Celui-ci feuillette en tous sens son abécédaire, et ne pouvant y
trouver un certain signe:
--Tu es pourtant là dedans, s'écrie-t-il avec impatience, et, il faudra bien que tu en sortes.
Le valet s'échappe de la cheminée, se croyant découvert, et crie avec épouvante:
--Cet homme sait tout!
Bientôt le docteur montra au seigneur son argent, sans lui dire qui l'avait soustrait; il reçut
de part et d'autre une forte récompense, et fut désormais un homme célèbre.

LA DOUCE BOUILLIE.
Une fille, pauvre mais vertueuse et craignant Dieu, vivait seule avec sa vieille mère. Leur
misère était devenue si grande qu'elles se voyaient sur le point de mourir de faim.
Dans cette extrémité, la pauvre fille, toujours confiante en Dieu, sortit de leur misérable
cabane, et pénétra dans le bois voisin.
Elle ne tarda pas à rencontrer une vieille femme qui, devinant (c'était une fée) la détresse
de la jeune fille, lui donna un petit pot, bien précieux vraiment.
--Tu n'auras qu'à prononcer ces trois mots, dit la vieille: «petit pot, cuis!» Il se mettra
aussitôt à te faire une douce et excellente bouillie de millet; et quand tu auras dit: «petit
pot, arrête-toi!» il s'arrêtera sur-le-champ.
La jeune fille s'empressa d'apporter à sa mère ce pot merveilleux. A partir de ce moment,
l'indigence et la faim quittèrent leur humble cabane, et elles purent se régaler de bouillie
tout à leur aise.
Il arriva qu'un jour la jeune fille dut aller faire une course hors du village. Pendant son
absence la mère eut faim, et se hâta de dire:
--Petit pot, cuis.
Petit pot ne se le fit pas répéter, et la vieille eut bientôt mangé tout son soûl; alors, la
bonne femme
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