Contes choisis de la famille | Page 4

Les frères Grimm
divers; mais ce
n'est rien encore: je possède en outre un sac tout rempli de ruses. En vérité, j'ai
compassion de toi; suis-moi, et je t'apprendrai comment on échappe aux chiens.
Comme il achevait ces mots, un chasseur, précédé de quatre dogues vigoureux, parut au

bout du sentier. Le chat s'empressa de sauter sur un arbre, et alla se fourrer dans les
branches les plus touffues, si bien qu'il était entièrement caché.
Hâtez-vous de délier votre sac! hâtez-vous d'ouvrir votre sac! cria-t-il au renard.
Mais déjà les chiens s'étaient précipités sur ce dernier, et le tenaient entre leurs crocs.
--Eh! monsieur le renard, cria de nouveau le chat, vous voilà bien embourbé avec vos
cent arts divers! Si vous n'aviez su que grimper comme moi, vous seriez en ce moment un
peu plus à votre aise.

LE SOLEIL QUI REND TÉMOIGNAGE.
Un ouvrier tailleur voyageait de ville en ville pour se perfectionner dans son état. Les
temps devinrent si difficiles, qu'il ne put plus trouver d'ouvrage, et qu'il tomba dans une
misère profonde. Dans cette extrémité, il rencontra un juif au milieu d'un bois touffu; et
chassant de son coeur la pensée de Dieu, il le saisit au collet et lui dit:
--La bourse, ou la vie!
Le juif répondit:
--De grâce, laissez-moi la vie; je ne suis d'ailleurs qu'un pauvre juif, et je n'ai que deux
sous pour toute fortune.
Le tailleur crut que le juif lui en imposait; et il reprit:
--Tu ments; je suis sûr que ta bourse est bien garnie.
En achevant ces mots, il fondit sur le pauvre juif et lui asséna des coups si violents, que le
malheureux tomba expirant contre terre. Sur le point de rendre le dernier soupir, le juif
recueillit le peu qui lui restait de forces pour prononcer ces paroles:
--Le soleil qui a vu ton crime, saura bien en rendre témoignage!
Et le pauvre juif avait cessé d'exister.
Aussitôt l'ouvrier tailleur se mit à fouiller dans les poches de sa victime, mais il eut beau
les retourner en tous sens, il n'y trouva que les deux sous annoncés par le juif.
Alors, il souleva le corps et alla le cacher derrière un buisson; après quoi, il poursuivit sa
route, à la recherche d'une place.
Quand il eut voyagé longtemps de la sorte, il finit par trouver à s'employer dans une ville
chez un maître tailleur qui avait une très-belle fille. Le jeune apprenti ne tarda pas à en
devenir épris, la demanda en mariage, et l'épousa. Et ils vécurent heureux.
Longtemps après, son beau-père et sa belle mère moururent, et le jeune couple hérita de
leur maison. Un matin, tandis que notre tailleur était assis, les deux jambes croisées sur la
table, et regardait par la fenêtre, sa femme lui apporta son café. Il en versa une partie dans
sa soucoupe, et comme il se disposait à boire, un rayon de soleil vint se jouer à la surface
de la liqueur, puis remonta vers les bords en traçant des dessins fantastiques.
Le tailleur, à qui sa conscience rappelait sans cesse les dernières paroles du juif,
marmotta entre ses dents:
--Voilà un rayon qui voudrait bien rendre témoignage, mais il lui manque la voix!
--Que murmures-tu là dans ta barbe? lui demanda avec étonnement sa femme.
Le tailleur fort embarrassé par cette question, répondit:
--Ne le demande pas; c'est un secret.
Mais la femme reprit:
--Entre nous il ne doit pas y avoir place pour un secret. Tu me confieras celui-ci, ou je
croirai que tu ne m'aimes pas.
Et la femme accompagna cette réponse insidieuse des plus belles promesses de discrétion:

elle ensevelirait ce secret dans son sein; elle ne lui en parlerait même jamais plus. Bref,
elle fit si bien, que le tailleur lui avoua que jadis, dans ses années de compagnonnage, un
jour, égaré par la misère et la faim, il avait fait tomber sous ses coups, pour le dévaliser,
un malheureux juif; et qu'au moment de rendre le dernier soupir, ce juif lui avait dit:
--Le soleil qui a vu ton crime saura bien en rendre témoignage!
--Et c'est à quoi je faisais allusion tout à l'heure, poursuivit le tailleur, en voyant le soleil
s'évertuer à faire des ronds dans ma tasse; mais je t'en supplie, veille bien sur ta langue;
songe qu'un seul mot pourrait me perdre.
La femme jura ses grands dieux qu'elle se montrerait digne de recevoir un secret.
Or, son mari s'était à peine remis au travail, qu'elle courut en toute hâte chez sa marraine,
à qui elle raconta ce qu'elle venait d'apprendre, en lui recommandant bien de n'en souffler
mot à qui que ce soit. Le lendemain, ce secret était celui de la ville entière; si bien, que le
tailleur fut cité à comparaître devant le juge, qui le condamna à la
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