Contes à mes petites amies | Page 5

J. N. Bouilly
je trouvais si vilains, et dont j'avais tant de frayeur, seraient susceptibles d'être aussi bien apprivoisés?...? A ces mots, elle avan?ait, en tremblant encore, la main vers Zizi, et la retirait aussit?t avec crainte. Oh! si elle n'e?t pas été retenue par sa peur insurmontable, avec quel plaisir elle e?t offert elle-même un morceau de sucre à la souris blanche, et e?t vu cette charmante petite bête se poser sur sa main, sur ses bras, sur sa tête, obéir à ses ordres!
Ce qui surtout piquait sa curiosité, c'était de savoir quelle pouvait être l'inscription gravée sur son collier d'argent; mais les lettres en étaient si petites, et les mouvements de Zizi si prompts et si fréquents, qu'il était impossible de distinguer la moindre chose. Enfin, après avoir hésité longtemps à s'approcher de la souris blanche, Laure s'habitua par degrés à ses bonds fréquents, à ses gambades, aux différents exercices qu'on lui avait appris: peu à peu elle la vit sans effroi r?der autour d'elle; et, un soir que, ravie de voir la souris faire la morte, elle laissa malgré elle échapper ces mots: ?Zizi!... Zizi!? elle la sentit tout-à-coup monter sur ses genoux, sur sa tête, redescendre sur son épaule, s'y poser, s'y nettoyer le museau avec ses pattes de devant, puis venir sur sa main y prendre le petit morceau de sucre accoutumé. Ce fut alors que la peureuse, plus d'à moitié guérie, put lire l'inscription gravée sur le collier de la souris, et qui portait ces mots: ?J'appartiens à Laure.?
--Oui, s'écria celle-ci avec une joie involontaire, je sens déjà que tu me plairas autant que d'abord tu m'avais fait de frayeur. Comment ai-je pu me montrer assez sotte pour trembler, palir et frissonner de tout mon corps à l'aspect de petits animaux si timides d'eux-mêmes, et qui pourtant, malgré leur petitesse, ne craignent pas de nous approcher, de se fier à nous?... O ma chère Zizi! ajouta-t-elle en la caressant pour la première fois, tu m'as guérie à jamais de la fausse idée que je m'étais faite des animaux de ton espèce, et d'autres bien plus petits encore dont j'avais la faiblesse de m'effrayer. Je vois que notre imagination nous aveugle souvent, et nous fait voir des dangers là où il ne s'en trouve aucun; je vois que les insectes les plus hideux, et même les animaux dont l'atteinte est venimeuse, ne nous feraient jamais le moindre mal si nous ne les excitions pas, soit par nos cris, soit par nos menaces, à exercer sur nous une légitime vengeance.
Madame de Melval, enchantée d'avoir détruit dans sa fille un ridicule qu'elle e?t conservé toute sa vie, et qui, sans aucun doute, e?t nui à son repos et à son bonheur, lui confia qu'elle s'était adressée à l'un de ces habiles oiseleurs de Paris, connus pour avoir le secret, ou plut?t la patience d'habituer à l'exercice le plus familier ces souris blanches, dont l'espèce est rare, et qui semble être douée d'une intelligence remarquable. Elle lui apprit qu'on instruit ces jolis petits animaux au point de les faire obéir au commandement; qu'il en est qui dansent sur la corde tendue; que d'autres jouent du tambour de basque; que celles-ci font une partie des évolutions militaires, que celles-là mettent le feu à un petit canon, dont l'explosion ne leur cause aucune frayeur.... ?Tu le vois, chère enfant, dit à Laure madame de Melval, il n'est rien que ne surmontent l'habitude et l'éducation, même chez les animaux les plus délicats; et tu m'avoueras que lorsqu'une petite souris a l'adresse de faire la morte, de danser sur la corde, et surtout a le courage d'entendre, sans broncher, la détonation de la poudre à canon, nous sommes véritablement indignes de cette suprématie que le Créateur nous a donnée sur tous les animaux, et tout-à-fait dénués de cette suprême intelligence dont nous sommes si fiers, lorsque, par une faiblesse ridicule, par une frayeur pusillanime, nous nous pla?ons au-dessous de ces mêmes animaux sur lesquels nous devrions régner.?
Laure, convaincue de ces vérités frappantes, s'arma de courage et de résignation. On ne la vit plus frissonner et changer de couleur en apercevant une araignée traverser sa chambre, et même grimper sur sa robe. Les papillons de nuit qui venaient le soir voltiger autour de la lampe, et les souris qu'elle rencontrait, bien qu'elles n'eussent ni la blancheur ni l'éducation de Zizi, ne lui firent plus pousser des cris effrayants, appeler à son secours. En un mot, elle s'habitua à voir de sang-froid les insectes les plus hideux; et, sans s'exposer imprudemment aux atteintes des animaux malfaisants, elle supporta leur vue, leur approche, et ne tarda pas à se convaincre que presque toujours la peur qu'on ressent nous fait seule beaucoup plus de mal que n'en pourrait faire l'objet même qui la cause.

LE COMITé DES BERGèRES.
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