Contes à mes petites amies | Page 4

J. N. Bouilly
lui avait donné l'assurance que la chauve-souris avait disparu, en s'envolant par la croisée. Il ne se passait pas de jour que la jeune insensée ne f?t quelque scène nouvelle qui donnait aux traits de son visage un mouvement convulsif, à son regard un vague hébété, à son maintien une attitude gauche et forcée, et qui, nuisant au développement de son intelligence et au progrès de son éducation, causait à madame de Melval un chagrin profond, une douleureuse inquiétude.
Un jour, entre autres, c'était un beau soir de l'été, au moment où Laure allait se mettre au lit, elle relève l'oreiller sur lequel elle devait poser sa tête, et tout-à-coup elle en voit sortir une souris qui grimpe sur son épaule, passe sur son cou, descend sur ses bras et s'enfuit avec une frayeur qui n'était rien en comparaison de celle qu'éprouvait Laure. Elle fait entendre des cris déchirants, et prononce ces mots d'une voix entrecoupée: ?Au secours!... au meurtre!... je suis perdue... je suis dévisagée... je suis morte!...? A ces cris, accourent tous les gens, et bient?t la mère de la jeune peureuse, qu'elle trouve appuyée sur le pied de son lit, la figure enveloppée dans ses draps et son couvre pieds, suffoquant et respirant à peine. ?Eh! quel est donc l'horrible assassin qui en veut à tes jours?? lui demande madame de Melval en regardant de tous c?tés. ?Ah! maman ... ne m'interrogez pas ... cet affreux animal ... ce monstre épouvantable....--Eh bien! c'est?--Une souris, maman ... oui, une souris, dont les yeux étaient flamboyants ... sa queue avait ... une aune de long ... elle a effleuré mon cou, mes oreilles, mes bras ... ah! c'est fait de moi!? Madame de Melval ne put s'empêcher de pousser un grand éclat de rire qui fit relever un peu la tête de Laure. D'abord elle se tate les oreilles, pour s'assurer que la souris ne lui en a pas emporté au moins une; puis elle porte en tremblant la main à son cou, qu'elle s'imaginait être ulcéré par la trace qu'y avait laissée la souris; enfin elle attache ses regards avides sur ses bras, et ne peut y découvrir la moindre rougeur, la moindre altération. Elle reconnut alors son erreur, et ne put s'empêcher de sourire elle-même de sa pusillanimité. A son étonnement succéda la confusion, et bient?t elle con?ut le dessein de dompter ces frayeurs enfantines et cette faiblesse d'esprit, qui l'eussent rendue l'objet des railleries les plus amères, tout en altérant les aimables qualités qu'elle avait re?ues de la nature. Madame de Melval s'occupa, de son c?té, à corriger sa fille de ses frayeurs ridicules, à lui donner cette réflexion si utile sur tout ce qui nous frappe, cette force de caractère sans laquelle nous nous aveuglons sur ce qui peut en effet nous être nuisible, et qui nous met au-dessus de ces craintes puériles.
Un jour que Laure vint, selon son usage, offrir à sa mère le bonjour du matin, elle aper?ut une souris qui courait ?a et là dans l'appartement. Un cri de frayeur lui échappe; mais quelle fut sa surprise de voir cette souris grimper sur les genoux de madame de Melval, de là monter sur ses épaules, sur sa tête, et redescendre avec la vivacité de l'éclair, et se cacher sous sa collerette! Elle avait remarqué que cette souris était blanche, qu'elle avait des yeux roses, et portait au cou un petit collier d'argent sur lequel était gravée une inscription. Ce qui surtout confondit la jeune peureuse, ce fut d'entendre sa mère appeler: ?Zizi!... Zizi!...? et aussit?t la charmante petite bête, sortant de l'endroit où elle s'était réfugiée, venait se poser sur la main de sa ma?tresse, dans l'attitude la plus familière et en même temps la plus gracieuse, faisait mille gambades pour gagner un petit morceau de sucre que celle-ci lui présentait au bout de ses doigts, et que Zizi prenait avec une précaution tout-à-fait remarquable. Ce ne fut pas seulement à tout cela que la souris blanche borna son manège accoutumé; Laure, stupéfaite, attentive, la vit tour à tour, au commandement de sa mère, faire la morte, se réveiller tout-à-coup, et, se redressant sur ses deux pattes de derrière, saisir avec celles de devant un joli petit balai, avec lequel elle nettoyait, de la manière la plus adroite et en même temps la plus comique, la poussière qui se trouvait sur les vêtements de sa ma?tresse. De là elle remontait sur la tête de celle-ci, passait et repassait comme un léger zéphir dans les boucles de cheveux formées sur son front; elle caressait ensuite avec sa queue le dessous du menton de madame de Melval, souriant à cet étrange manège, et venait se poser sur une de ces épaules, où elle semblait attendre ses ordres. ?Quoi! s'écria Laure involontairement, ces petits animaux que
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