Contes à mes petites amies | Page 3

J. N. Bouilly
le bruit des eaux irritées par les roues du moulin, et les différentes cascades dont il est environné, forment un murmure délicieux qui invite au charme d'une douce rêverie. Amélie et Célestine y venaient ensemble faire des lectures choisies par leur mère; quelquefois même elles y répétaient la le?on d'histoire qu'elles avaient re?ue la veille.
Un jour que Célestine, entra?née par le calme du matin, avait devancé son amie à la grotte solitaire et qu'en l'attendant elle repassait une le?on d'anglais, elle s'endormit sur un banc de mousse, où déjà les plus heureux songes venaient bercer son imagination. Elle n'avait pas aper?u le père Daniel, qui, placé à quelque distance, raccommodait un treillage couvert de chèvrefeuille, de lilas et d'aubépine.
Mais souvent, au moment même où nous rêvons le bonheur, le plus grand danger nous menace. Un énorme serpent, se glissant sous des roseaux, la gueule béante et le dard en avant, s'approchait, en longs replis, de la jeune dormeuse, qu'il avait aper?ue. Il allait s'élancer sur la figure de Célestine, et l'infecter du poison mortel qu'il recélait sous sa dent venimeuse, lorsque le père Daniel, qui, par un coup de la Providence, venait couper quelques joncs pour terminer son treillage, pousse un cri per?ant qui réveille Célestine. Il s'élance sur l'affreux reptile et l'attaque avec intrépidité. Le peu de forces qui lui restent semblent doubler en cet instant, et, au risque d'être victime de son courage, il lui casse la tête avec la bêche dont il est armé. Aux nouveaux cris de frayeur qu'il exhale, et à la vue du serpent qui se débat encore en expirant, Célestine palit et tombe sans connaissance dans les bras du courageux vieillard. Celui-ci, effrayé lui-même, crie, appelle au secours. Amélie accourt en ce moment; elle aide Daniel, déjà vacillant sur ses jambes, à soutenir sa jeune amie, qui reprend ses sens et se trouve appuyée sur le dos vo?té du pauvre jardinier dont elle s'était moquée tant de fois. Elle le désigne comme son libérateur; elle ne dédaigne plus ce bon père Daniel qu'elle croyait n'être d'aucune utilité sur la terre; elle ne craint plus de s'abaisser en lui parlant. Avec quelle ivresse elle presse dans ses mains délicates et parfumées les mains noires et durillonnées de son généreux défenseur! Elle s'oublia même, dans l'effusion de sa reconnaissance, jusqu'à poser ses lèvres sur le front chauve et ridé de ce fidèle serviteur, auquel elle voua un attachement qui ne se démentit jamais. Elle se faisait un devoir de soutenir ce vieillard dans sa marche; elle répétait sans cesse qu'elle lui devait la vie. A partir de cette époque, elle honora, secourut la vieillesse, même dans la classe la plus obscure; et, chaque fois qu'elle voyait les jeunes personnes de son age rire d'un agriculteur courbé sous le poids de l'age, ou repousser avec dédain un vieil indigent qui implorait leur assistance, elle les blamait à son tour, et se rappelait le _père Daniel_.

LA SOURIS BLANCHE.
Laure Melval, agée de dix ans, réunissait tout ce qui peut faire remarquer dans le monde: une éducation soignée, un heureux caractère, une humeur enjouée, une sensibilité vraie, et surtout un attachement sans bornes pour sa mère. Jamais la moindre humeur ne venait altérer ses qualités aimables; et, si quelquefois un mouvement de contrariété paraissait sur sa figure, il en disparaissait aussit?t, comme un nuage léger qui se glisse passagèrement sous un ciel pur et serein.
Cependant, à travers tous ces avantages dont la nature avait pris plaisir à doter Laure, on apercevait une faiblesse d'esprit qu'elle portait jusqu'au ridicule: c'était une frayeur pusillanime, une peur insurmontable que lui causaient les animaux les plus petits, les insectes mêmes qui, par leur nature autant que par leur petitesse, ne peuvent faire le moindre mal. Apercevait-elle un papillon de nuit dans le salon, voltigeant autour de la lampe allumée, elle poussait des cris affreux, et s'imaginait que ce timide insecte, seulement trompé par l'éclat de la lumière, allait la dévorer. Mais c'était bien pis quand par hasard une chauve-souris s'introduisait dans son appartement: quoique le pauvre animal, d'une forme hideuse, il est vrai, ne cherchait qu'une issue par laquelle il p?t se sauver, la jeune peureuse était convaincue qu'il n'était parvenu jusqu'à elle que pour la saisir dans ses serres rousses et velues, et l'emporter dans les airs. C'est en vain que madame de Melval faisait observer à sa fille que cette chauve-souris, grosse à peine comme la moitié de sa main, ne pouvait soulever un poids deux mille fois plus pesant qu'elle. Laure, pale et tremblante, soutenait que ce monstre affreux était venu pour lui arracher les yeux, ou tout au moins les oreilles; et, se couvrant alors le visage de ses mains, elle se réfugiait dans le sein de sa mère, et ne relevait sa tête en hésitant que lorsque celle-ci
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 62
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.