du meilleur vin, qui le réconfortait; il le buvait de bon coeur, en invoquant le ciel pour le bonheur et la conservation de celle qui savait si bien soutenir, honorer sa vieillesse.
Parmi les jeunes personnes du voisinage et de la ville de Tours qui formaient habituellement la société d'Amélie, et que sa prévoyante mère avait admises comme les plus dignes de cultiver avec sa fille les doux épanchements de l'amitié, était Célestine de Montaran, née d'une famille distinguée par des services militaires. Elle cachait sous des dehors aimables un orgueil indomptable, et surtout un dédain outrageant pour tous les gens qui appartenaient à la classe populaire. Elle s'imaginait qu'ils étaient formés d'une tout autre substance que la sienne, qu'ils n'avaient ni son ame, ni son intelligence, ni ses organes. L'insensée! elle ignorait donc que nous sommes tous faits sur le même modèle, avec plus ou moins de perfection; que nous sommes tous sujets aux mêmes besoins, aux mêmes infirmités, et qu'après avoir voyagé dans ce monde, les uns à pied, les autres sur des chars brillants, nous nous retrouvons, dans l'autre, dépouillés de ces hochets de la grandeur et de l'opulence, tous égaux, tous soumis au jugement de Dieu, qui ne distinguera que ceux dont la vie aura été sans tache, et qui ne seront riches alors que du bien qu'ils auront fait....
Mais la vaine Célestine ne connaissait que l'antique origine de ses ancêtres, ne calculait que les riches revenus de sa mère, veuve d'un officier de marine, et dont elle était l'idole, l'unique espoir. Peu instruite et seulement remarquable par des talents d'agrément, la jeune Montaran faisait consister le bonheur dans l'éclat et la richesse; et ses yeux éblouis ne regardaient que comme des esclaves faits pour ramper sur la terre tous ceux que le sort assujétissait à vivre du travail de leurs mains.
Un jour qu'Amélie et Célestine se promenaient ensemble dans une allée du parc, devant elles passe le père Daniel, couvert de pauvres vêtements, et portant sur son dos courbé l'instrument avec lequel il avait l'habitude de parer les jardins. Il salue sa jeune ma?tresse, et lui dit, avec l'expression du respect et de l'attachement le plus tendre: ?Dieu vous conserve, p'tite mam'zelle!--Quoi! dit Célestine à celle-ci, tu souffres que ce pauvre t'appelle sa petite!--C'est par habitude, répond en souriant Amélie: il m'a vue na?tre; c'est le plus ancien serviteur de ma mère; et le salut d'un octogénaire n'a jamais rien de déshonorant.--Pour moi, ma chère, je ne laisse point ces sortes de gens m'aborder, et je leur permets encore moins de m'adresser la parole. Je les fais assister par ma femme de chambre, et me garde bien de me compromettre en leur adressant un seul mot.--Mais la père Daniel n'est point un étranger pour moi: c'est un ancien jardinier de ma mère, qui, pour récompense de ses longs services, lui a accordé une retraite qu'il n'e?t point acceptée, s'il n'e?t pas cru la mériter: il est trop fier pour cela; et, tel que tu le vois, Célestine, il ne supporterait pas la moindre humiliation.--Mais, encore une fois, ma chère, on place ces gens-là dans quelque hospice, et l'on évite, par ce moyen, leurs fatigantes familiarités.--Un hospice pour un digne vieillard qui a servi ma famille pendant un demi-siècle! ce serait l'humilier, lui faire rompre ses chères habitudes: ce serait lui donner la mort.?
Quelque temps s'écoula, pendant lequel les deux petites amies s'entretenaient souvent du pauvre vieillard. Amélie le traitait toujours comme un bon et fidèle serviteur, tandis que Célestine ne cessait de le regarder comme un être inutile sur la terre, et de le traiter avec dédain. Jamais elle ne répondait à son salut que par un regard plein de mépris; et, si quelquefois le père Daniel osait lui adresser la parole, elle lui tournait le dos et s'éloignait sans lui répondre. Le bon vieillard souriait de pitié, et semblait demander tout bas au ciel de lui procurer l'occasion de prouver à la jeune orgueilleuse que, malgré son grand age, il pouvait être encore de quelque utilité.
La Providence lui permit de donner à Célestine une le?on tout à la fois forte et touchante, qui levait servir à la convaincre que nous avons tous besoin les uns des autres, quelle que soit la distance que le sort semble avoir mise entre nous. On était au mois de juillet; la chaleur était extrême. Les deux jeunes amies avaient coutume d'aller respirer le frais dans une ?le charmante, ombragée par des arbres très-élevés, entourée d'une eau limpide et courante, et dans laquelle est établie une grotte solitaire en face d'un moulin dont l'aspect est ravissant. Un gazon épais y répand en tout temps une fra?cheur salutaire; la suave odeur des arbrisseaux en fleurs, dont les touffes nombreuses caressent le visage, semble y attirer la douce haleine des zéphyrs, et
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